Amédée Pommier

Les œuvres de Dieu.

Dieu, dans sa sagesse profonde,
A-t-il tout créé par sa voix,
Ou si le hasard seul au monde
Impose aveuglement ses lois ?
Pour te délivrer de ce doute,
Homme, vers la céleste voûte
Élève un moment tes regards ;
Parcours ce magnifique livre :
Le nom du Dieu qui te fait vivre
Y resplendit de toutes parts !
 
Il a bâti cette coupole
Dont lui seul sait la profondeur,
Pour être à jamais le symbole
De son immortelle grandeur.
Comme un incomparable peintre,
Des airs il colore le cintre
Pour le seul plaisir de tes yeux.
Et, pour tempérer la nuit sombre,
II a peuple d’astres sans nombre
L’abîme illimite des cieux !
 
Soumis à la main qui les lance
Comme des vaisseaux sur la mer,
Vois-les traverser en silence
Les solitudes de l’éther.
Vois le grand dieu qui nous anime,
Comme une poussière sublime,
Semer, dans les champs azures,
Ces étincelles vagabondes,
Ces points brillants qui sont des mondes
Marchant à pas de mesures !
 
Vois ce soleil qui sur ta tête
Décoche au loin ses flèches d’or,
Qui, des cieux franchissant le faîte,
Semble orgueilleux de son essor.
Chaque jour l’aurore l’annonce ;
La nuit disparaît et s’enfonce
Dans les profondeurs des enfers,
Et l’orbe enflamme qui rayonne
Verse les feux de sa couronne
Jusqu’aux confins de l’univers.
 
Vois la lune, astre plus modeste,
Qui, quand le monde est endormi,
Paraît dans l’enceinte céleste
Qu’elle n’éclaire qu’à demi.
Douce et timide souveraine,
Sa présence affaiblit à peine
L’éclat des constellations,
Et son auréole blanchâtre,
Comme un feu cache dans l’albâtre,
Epand de suaves rayons.
 
Vois, quand la foudre au loin lancée
Vient d’épouvanter l’univers,
D’Iris l’écharpe nuancée
Se dérouler au sein des airs ;
Vois les nuages dans l’espace
Tantôt ondoyer avec grâce
En longues zones de satin,
Tantôt, montagnes gigantesques,
Teindre leurs cimes pittoresques
Des reflets pourpres du matin.
 
Si tu redescends sur ce globe
Qui te fut donne pour palais,
Le Dieu qu’un voile te dérobe
S’y montre encore dans ses bienfaits.
Partout de ce maître qui t’aime
Tu lis la puissance suprême
En caractères éclatants,
Et, si ton œil n’était débile,
Tu verrais son trône immobile
Sur le grand rivage du temps !
 
Que de richesses il prodigue,
Afin d’embellir ton séjour !
Sa bonté, que rien ne fatigue,
Les renouvelle chaque jour :
C’est lui qui sème la verdure,
Qui donne aux forêts leur parure,
Qui des champs compose l’email ;
C’est lui qui gouverne les ondes,
Et dans leurs cavités profondes
Fait germer l’ambre et le corail.
 
Dieu seul féconde les entrailles
Des monts où filtrent les métaux ;
Dieu seul argente les écailles
Du poisson caché sous les eaux.
Quel autre eût dit à la baleine :
« Ces mers, qu’ébranle mon haleine,
Te rouleront dans leurs vallons ? »
Quel autre eût dit au faible arbuste :
« Je veux qu’un jour ton front robuste
Brise l’effort des aquilons ? »
 
Il ceint la panthère qui rôde
De son vêtement somptueux ;
Il teint du vert de l’émeraude
Le corps du boa monstrueux.
Reconnais sa brillante image
Dans le cygne au neigeux plumage,
Dans l’aigle au regard plein d’orgueil,
Dans la forme du faon timide,
Dans les crins du coursier numide,
Dans les pas légers du chevreuil !
 
Sur la terre où tu te promènes,
Et dont il t’a créé le roi,
Les plus imposants phénomènes
Se reproduisent devant toi ;
Jusque sous la zone polaire
Il éternise la colère
De ces volcans majestueux,
Minés par des fleuves de soufre
Qui des flancs haletants du gouffre
Sortent à bonds impétueux !
 
Quel spectacle plus grandiose
Que ces inaccessibles monts,
Où l’hiver engourdi repose
Sur une couche de glaçons ;
Qui, de forêts primordiales,
De vieilles roches colossales
Environnés de toutes parts,
Portent au ciel leurs têtes blanches
Où se forment les avalanches
Derrière un rideau de brouillards ?
 
Quel coup d’œil plus beau, plus sublime,
Que les fureurs des océans,
Quand le regard plonge et s’abîme
Dans leurs précipices béants ;
Quand l’ouragan rugit sur l’onde,
Que la voix du tonnerre gronde,
Et qu’à la lueur de l’éclair
Les vents, dans leurs bruyantes luttes,
Roulent en liquides volutes
Les flots verdâtres de la mer ?
 
Mais près de ces tableaux terribles
Veux-tu des tableaux gracieux ?
Des objets presque imperceptibles
Feront le charme de tes yeux.
La main qui pesa la matière
Dans les flancs d’un grain de poussière
Prépare au ciron son abri ;
La main qui dore les planètes
Couvre d’éclatantes paillettes
Le corps du frêle colibri.
 
Admire la délicatesse
Du ver luisant et de la fleur,
Aussi beaux dans leur petitesse
Que le soleil dans sa grandeur !
Regarde sur la rose humide
Dormir la verte cantharide
Qui réfléchit les feux du jour,
Ou suis de corolle en corolle
L’abeille errante qui s’envole
Et qui s’arrête tour à tour !
 
Pose sur la feuille embaumée
Que peint un riche vermillon,
Comme une escarboucle animée,
Frémit le Iéger papillon.
De quel éclat brille son aile !
Le rubis enflamme s’y mêle
Au bleu transparent du saphir,
Et l’on croit voir, quand il voltige,
La fleur, abandonnant sa tige,
Flotter au souffle du zéphyr !
 
Ainsi l’éternel architecte,
Qui des cieux créa le géant,
Daigne encore animer l’insecte
Sur les frontières du néant !
Atomes vivants et sensibles,
Des milliers d’êtres invisibles
Sont répandus sous le gazon,
Et le brin d’herbe qu’il habite
Est comme un monde sans limite
Pour l’éphémère puceron.
 
Ici, dans un tombeau de soie,
Le ver se transforme en oiseau ;
Là, pour envelopper sa proie,
L’araignée ourdit son réseau ;
Plus loin, la fourmi ménagère,
Qu’une abondance passagère
N’aveugle point sur l’avenir,
Avec ardeur emmagasine
L’épi que la bonté divine
Lui mit à part pour se nourrir.
 
Oui, depuis l’astre au front superbe,
Roi lumineux du firmament,
Jusqu’à l’insecte qui sous l’herbe
Trouve le gîte et l’aliment,
Tout révèle à l’être qui pense
Une suprême intelligence,
Un invisible bienfaiteur,
Dont les mains, ornant la nature,
Sur elle épanchent sans mesure
La poésie et le bonheur.

Poésies (1832)

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