Alphonse Esquiros

Ni plaisir ni peine.

A la brise du soir quand les feuilles frémissent,
Quand le soleil rougit dans un beau ciel d’été,
Quand les nuages d’or à l’horizon se plissent,
Quand le silence vient, et quand les bois s’emplissent
           De mystère et d’obscurité,
 
C’est l’heure inspiratrice où la mélancolie
Erre sur les bosquets, s’assied près des ruisseaux,
Étend son aile d’or sur l’âme recueillie,
Puis écoute, pensive, ou l’onde qu’on oublie,
           Ou le dernier chant des oiseaux.
 
Sur un banc de gazon elle attend le poète
Couronne de pavots son front pâle et terni,
Le mène par la main sur la rive muette,
Et montre l’eau, qui va dans la mer inquiète,
           Comme le temps dans l’infini.
 
Alors on sent en soi passer mille pensées,
Comme un nuage au ciel, comme un cygne sur l’eau,
On retrouve en son cœur des peines effacées ;
On se souvient, on pleure ; et les choses passées
           Nous font rêver au noir tombeau.
 
Moi, j’ai vu sur mon front faner tant de chimères,
Tant de projets hélas I ici-bas m’ont menti,
J’ai pris si peu de fleurs qui ne soient éphémères,
Que je me dis : Pourquoi, quand les nuits sont amères
           Survivre au rêve anéanti ?
 
J’ai passé comme un fleuve aux ondes ignorées ;
Jamais les gondoliers n’ont erré sur le bord ;
Ni les vierges, pieds nus, aux lèvres adorées,
N’ont plongé dans les flots de mes rives dorées
           Leur sein qui rougit tout d’abord.
 
J’ai poursuivi longtemps, comme un enfant avide,
Un Sylphe aux ailes d’or, un léger papillon ;
La muse m’avait dit : Prends garde, il est perfide ;
Mais en effet il n’a laissé dans ma main vide
           Qu’une poudre de vermillon.
 
La gloire m’a trahi ; tout me fut infidèle ;
Je n’ai que la nature en qui j’espère enfin ;
Tout le reste ici-bas me fuit à tire d’aile ;
Et qui s’affligera sur la terre cruelle,
           Si je n’ai pas de lendemain !
 
Cyprès, de vos rameaux couronnez mon front pâle ;
Soleil, pour m’éclairer, rallume ton flambeau ;
Ô terre ! Pare-moi de ta fleur virginale.
Je veux faire avec vous l’alliance fatale
           De la nature et du tombeau !
 
Des yeux d’un inconnu si quelque larme tombe
En recueillant ces vers que je livre au zéphyr,
Si pour moi l’oiseau chante et gémit la colombe,
Oh ! Ne m’enviez pas le repos de la tombe,
           Amis, et laissez-moi mourir.
 
Pourtant, sous ces bosquets, la brise est si plaintive ;
L’air est si parfumé de la vapeur des bois ;
Un concert si divin à mon oreille arrive ;
Que je voudrais bien voir le soleil, sur la rive,
           Se coucher encore une fois !
 
Et qui sait si mes fleurs sont toutes surannées ;
De mes chants inspirés si la source a tari,
Si je ne verrai pas, ô mes jeunes années,
Reverdir sur mon front vos guirlandes fanées ;
           Si je suis un arbre flétri ?
 
C’est ainsi que l’on boit au calice perfide
Que verse l’espérance en descendant du ciel ;
L’homme maudit la vie ; et quand la coupe est vide,
Il voudrait bien encore, près de sa lèvre avide,
           Sentir une goutte de fiel !

Les hirondelles (1834)

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