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Aimé Césaire

Prophétie

là où l’aventure garde les yeux clairs
 
là où les femmes rayonnent de langage
 
là où la mort est belle dans la main comme un oiseau saison de lait
 
là où le souterrain cueille de sa propre génuflexion un luxe de prunelles plus violent que des chenilles
 
là où la merveille agile fait flèche et feu de tout bois
 
là où la nuit vigoureuse saigne une vitesse de purs végétaux
 
là où les abeilles des étoiles piquent le ciel d’une ruche
 
plus ardente que la nuit là où le bruit de mes talons remplit l’espace et lève à
 
rebours la face du temps là où l’arc-en-ciel de ma parole est chargé d’unir demain
 
à l’espoir et l’infant à la reine,
 
d’avoir injurié mes maîtres mordu les soldats du sultan d’avoir gémi dans le désert d’avoir crié vers mes gardiens
 
d’avoir supplié les chacals et les hyènes pasteurs de caravanes
 
je regarde
 
la fumée se précipite en cheval sauvage sur le devant de la scène ourle un instant la lave de sa fragile queue de paon puis se déchirant la chemise s’ouvre d’un coup la
poitrine et je la regarde en îles britanniques en îlots en rochers déchiquetés se fondre peu à peu dans la mer lucide de l’air
 
où baignent prophétiques
 
ma gueule
 
ma révolte
 
mon nom.

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