C’était la veille de Mai
Un soir souriant de fête,
Et tout semblait embaumé
D’une tendresse parfaite.
De son lit à baldaquin,
Le Soleil sur son beau globe
Avait l’air d’un Arlequin
Étalant sa garde-robe,
Et sa sœur au front changeant,
Mademoiselle la Lune
Avec ses grands yeux d’argent
Regardait la Terre brune,
Et du ciel, où, comme un roi,
Chaque astre vit de ses rentes,
Contemplait avec effroi
Le lac aux eaux transparentes.
Comme, avec son air trompeur,
Colombine, qu’on attrape,
À la fin du drame a peur
De tomber dans une trappe.
Tous les jeunes Séraphins,
À cheval sur mille nues,
Agaçaient de regards fins
Leurs comètes toutes nues.
Sur son trône, le bon Dieu,
Devant qui le lys foisonne,
Comme un seigneur de haut lieu
Que sa grandeur emprisonne,
À ces intrigues d’enfants
N’ayant pas daigné descendre,
Les laissait, tout triomphants,
Le tromper comme un Cassandre.
Or, en même temps qu’aux cieux,
C’était comme un grand remue -
Ménage délicieux,
Sur la pauvre terre émue.
Des Sylphes, des Chérubins,
S’occupaient de mille choses,
Et sous leurs fronts de bambins
Roulaient de gros yeux moroses.
Quel embarras, disaient-ils
Dans leurs langages superbes ;
À ces fleurs pas de pistils,
Pas de bleuets dans ces herbes !
Dans ce ciel pas de saphirs,
Pas de feuilles à ces arbres !
Où sont nos frères Zéphyrs
Pour embaumer l’eau des marbres ?
Hélas ! comment ferons-nous ?
Nous méritons qu’on nous tance ;
Le bon Dieu sur nos genoux
Va nous mettre en pénitence !
Car hier au bal dansant,
Où, sorti pour ses affaires,
Il mariait en passant
Deux Soleils avec leurs Sphères,
Nous avons de notre main
Promis sur le divin cierge
Son mois de mai pour demain
À notre dame la Vierge !
Hélas ! jamais tout n’ira
Comme à la saison dernière,
Bien sûr on nous punira
De l’école buissonnière.
Pour ce Mai qu’on nous promet
Ils versent des pleurs de rage,
Et vite chacun se met
À commencer son ouvrage.
Penchés sur les arbrisseaux,
Les uns, au milieu des prés,
Avec de petits pinceaux
Peignent les fleurs diaprées,
Et, de face ou de profil,
Après les branches ouvertes
Attachent avec un fil
De petites feuilles vertes.
Les autres au papillon
Mettent l’azur de ses ailes,
Qu’ils prennent sur un rayon
Peint des couleurs les plus belles.
Des Ariels dans les cieux,
Assis près de leurs amantes,
Agitent des miroirs bleus
Au-dessus des eaux dormantes.
Sur la vague aux cheveux verts
Les Ondins peignent la moire,
Et lui serinent des vers
Trouvés dans un vieux grimoire.
Les Sylphes blonds dans son vol
Arrêtent l’oiseau qui chante,
Et lui disent : Rossignol,
Apprends ta chanson touchante ;
Car il faut que pour demain
On ait la chanson nouvelle.
Puis le cahier d’une main,
De l’autre ils lui tiennent l’aile
Et ceux-là, portant des fleurs
Et de jolis flacons d’ambre,
S’en vont, doux ensorceleurs,
Voir mainte petite chambre,
Où mainte enfant, lys pâli,
Écoute, endormie et nue,
Fredonner un bengali
Dans son âme d’ingénue.
Ils étendent en essaim
Mille roses sur sa lèvre,
Un peu de neige à son sein,
Dans son cœur un peu de fièvre.
Aucun ne sera puni,
La Vierge sera contente :
Car nous avons tout fourni,
Ce qui charme et ce qui tente !
Et Sylphes, et Chérubins,
Ce joli torrent sans digue,
Vont se délasser aux bains
Du bruit et de la fatigue.
Dieu soit béni, disent-ils,
Nous avons fini la chose !
Aux fleurs voici les pistils,
Des parfums, du satin rose ;
Au papillon bleu son vol,
Aux bois rajeunis leur ombre,
Son doux chant au rossignol
Caché dans la forêt sombre !
Voici leur saphir aux cieux
Dans la lumière fleurie,
À l’herbe ses bleuets bleus,
Pour que la Vierge sourie !
Mais ce n’est pas tout encor,
Car ils me disent : Poète !
Voilà mille rimes d’or,
Pour que tu sois de la fête.
Prends-les, tu feras des chants
Que nous apprendrons aux roses,
Pour les dire lorsqu’aux champs
Elles s’éveillent mi-closes.
Et certes mon rêve ailé
Eût fait une hymne bien belle
Si ce qu’ils m’ont révélé
Fût resté dans ma cervelle.
Ils murmuraient, Dieu le sait,
Des rimes si bien éprises !
Mais le Zéphyr qui passait
En passant me les a prises !