Théodore de Banville

À Arsène Houssaye.

Grâce aux Dalilas,
Nos rimeurs sont las
     De gloire,
Et, comme un hochet,
Ont jeté l’archet
     D’ivoire !
 
Au rythme ailé d’or
Il fallait encor
     Un maître
Fou de volupté,
Alors j’ai dompté
     Le Mètre !
 
J’ai repris mon luth,
Et, suivant le but
     Féerique,
Je m’en vais cherchant
Le secret du chant
     Lyrique.
 
Œil épanoui,
Je peins ébloui
     Ou triste,
Le ciel radieux,
Et, mélodieux
     Artiste,
 
Près du fleuve grec
Murmurant avec
     Les cygnes
Fiers de leur candeur,
Je dis la splendeur
     Des lignes.
 
Mon vin triomphant,
Sais-tu quelle enfant
     Le verse ?
Viens, et tu verras,
Poète, quel bras
     Me berce !
 
Ô chasseur altier,
Qui fuis le sentier
     Profane,
Songeur qu’autrefois
Rencontrait au bois
     Diane !
 
Comme toi, qui vins
Si jeune aux divins
     Rivages,
Ami, j’ai toujours
Voulu des amours
     Sauvages.
 
Ah ! quand Mai sourit
Aux prés où fleurit
     La menthe,
Trouveurs de loisir,
Sachons y choisir
     L’amante !
 
Nymphe au regard bleu,
Si sa lèvre en feu
     Caresse
Nos fronts sans témoins,
Qu’elle soit au moins
     Déesse !
 
Toi, pâle et rêvant,
Au bois que le vent
     Assiège,
Tu suis à dessein
La guerrière au sein
     De neige !
 
Moi, parmi nos jeux,
Mon plus orageux
     Délire
Toujours s’en revient
Vers celle qui tient
     La lyre !
 
Sans doute elle a pris
La foule en mépris,
     Et porte
Un peu trop souvent
Sa crinière au vent.
     Qu’importe !
 
J’aime sa pâleur,
Et sa bouche en fleur
     Est saine !
Son sang et sa chair
Les voilà, mon cher
     Arsène.
 
Ô sens embrasés !
Maîtresse aux baisers
     Savante !
Tendre et chère voix,
Ici tu la vois
     Vivante.
 
Dos flexible et nu !
Sourire ingénu
     Qui m’aime !
L’or de ses cheveux
M’enivre, et je veux,
     De même,
 
Dans mon sang qui bout
Gardant jusqu’au bout
     Ma fièvre
Tout comme à présent,
Mourir en baisant
     Sa lèvre !

Odelettes (1856)

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