Sully Prudhomme

Le Missel

Dans un missel datant du roi François premier,
Dont la rouille des ans a jauni le papier
Et dont les doigts dévots ont usé l’armoirie,
Livre mignon, vêtu d’argent sur parchemin,
L’un de ces fins travaux d’ancienne orfèvrerie
Où se sentent l’audace et la peur de la main,
             J’ai trouvé cette fleur flétrie.
 
On voit qu’elle est très vieille au vélin traversé
Par sa profonde empreinte où la sève a percé.
Il se pourrait qu’elle eût trois cents ans ; mais n’importe,
Elle n’a rien perdu qu’un peu de vermillon,
Fard qu’elle eût vu tomber même avant d’être morte,
Qui ne brille qu’un jour, et que le papillon,
             En passant, d’un coup d’aile emporte ;
 
Elle n’a pas perdu de son cœur un pistil,
Ni du frêle tissu de sa corolle un fil ;
La page ondule encore où sécha la rosée
De son dernier matin, mêlée à d’autres pleurs ;
La mort en la cueillant l’a seulement baisée,
Et, soigneuse, n’a fait qu’éteindre ses couleurs,
             Mais ne l’a pas décomposée.
 
Une mélancolique et subtile senteur,
Pareille au souvenir qui monte avec lenteur,
L’arome du secret dans les cassettes closes,
Révèle l’âge ancien de ce mystique herbier ;
Il semble que les jours se parfument des choses,
Et qu’un passé d’amour ait l’odeur d’un sentier
             Où le vent balaya des roses.
 
Et peut-être, dans l’air sombre et léger du soir,
Un cœur, comme une flamme, autour du vieux fermoir,
S’efforce, en palpitant, de se frayer passage ;
Et chaque soir peut-être il attend l’angelus,
Dans l’espoir qu’une main viendra tourner la page
Et qu’il pourra savoir si rien ne reste plus
             De la fleur qui fut son hommage.
 
Eh bien ! Rassure-toi, chevalier qui partais
Pour combattre à Pavie et ne revins jamais ;
Ou page qui, tout bas, aimant comme on adore,
Fis un aveu d’amour d’un Ave Maria :
Cette fleur qui mourut sous des yeux que j’ignore,
Depuis les trois cents ans qu’elle repose là,
             Où tu l’as mise elle est encore.

Les solitudes (1869)

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