Robert Desnos

La belle que voila

Quand l’âge aura flétri ces yeux et cette bouche quand trop de souvenirs alourdiront ce cœur quand il ne restera pour bercer dans sa couche ce corps aujourd’hui beau que des spectres moqueurs
 
Quand la poussière infecte en recouvrant les choses vêtira d’un linceul les désirs abolis quand l’amour plus fané qu’en un livre une rose ne sera plus qu’un nom sous des portraits pâlis
 
Quand il sera trop tard pour n’être plus cruelle quand l’écho des baisers et l’écho des serments
Décroîtront comme un pas la nuit dans une ruelle ou le sifflet d’un train vers le noir firmament
 
Quand sur les seins pendants le ventre qui se ride
Les mains aux doigts séchés durcies par les passions
Et lasses d’essuyer trop de larmes acides
Referont le bilan de leur dégradation
 
Quand nul fard ne pourra mentir à ce visage
S’il se penche au miroir jadis trop complaisant
Pour se désaltérer comme au lac d’un mirage
Aux rêves du passé revécus au présent
 
La belle que voilà restera belle encore
Par la vertu d’un feu reflété constamment aux vitres d’un château dont les salles sonores seront hantées par ceux qui furent ses amants
 
La belle que voilà ainsi qu’une fontaine
Dont le flot toujours pur sur les marbres disjoints
S’écoule en entraînant d’ineffables sirènes
Pour perdre sa splendeur ne renoncera point
 
Bien ne disparaîtra des ciels qui se reflètent
Malgré la peau fripée et malgré les reins plats
Restera jalousée et présente à la fête
Jeune éternellement la belle que voilà
 
Tant de cceurs ont battu jadis à son attente qu’une flamme est enclose en ce corps sans raison qu’indigne de ces feux elle reste éclatante
Ainsi qu’à l’incendie survivent les tison
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