Paul Verlaine

Mais Sa tête, Sa tête

Mais Sa tête, Sa tête!
Folle, unique tempôte
D’injustice indignée,
De mensonge en furie,
Visions de tuerie
Et de vengeance ignée.
 
Puis exquise bonace,
Du soleil plein l’espace.
Colombe sur l’abîme,
Toute bonne pensée
Caressée et bercée
Pour un réveil sublime.
 
Force de la nature
Magnifiquement dure
Et si douce, Sa tête.
Adoré phénomène
De ma Philomène
La tête, seule fête!
 
Et voyez quelle est belle
Cette tête rebelle
A la littérature
Comme à l’art de la brosse
Et du ciseau féroce,
Voyez, race future!
 
Car je veux dire aux Anges
Ce plus cher des visages,
Cheveux noirs comme l’ombre
Où passerait une onde
Pure, froide, profonde,
Sous un ciel bas et sombre,
 
Petit front d’Immortelle
Plissé dans la querelle,
Nez mignard qu’ironise
Un bout clair qui s’envole,
Bouche d’où Sa parole
Part, précise et consise
 
Mais sorcière sans cesse,
Qui blesse et qui caressa
Mon âme obéissante,
Soumise, adulatrice,
Voix dominatrice,
Voix toute-puissante...!
 
Et ô sur cette bouche
Plus âpre que farouche,
Plus farouche que tendre,
Plus tendre qu’ordinaire,
Prince au fond débonnaire,
Le Baiser semble attendre,
 
Et tout cela qu’éclaire
Le regard circulaire
De deux yeux de braise,
Bruns avec de la flamme,
Sournois avec de l’àme
Et du cœur, n’en déplaise
 
A nos jaloux, ma reine,
Ma noble souveraine
Qui me lient dans tes geôles,
Tête belle et bonne
Et mauvaise—et couronne
Du trône, tes Épaules.

"Odes en son honneur (1893)"

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