Paul Claudel

Ténèbres

 
Je suis ici, l’autre est ailleurs, et le silence est terrible :
nous sommes des malheureux et satan nous vanne dans son crible,
je souffre, et l’autre souffre, et il n’y a point de chemin
entre elle et moi, de l’autre a moi point de parole ni de main.
rien que la nuit qui est commune et incommuniable,
la nuit où l’on ne fait point d’oeuvre et l’affreux amour impraticable,
je prête l’oreille, et je suis seul, et la terreur m’envahit.
j’entends la ressemblance de sa voix et le son d’un cri.
j’entends un faible vent et mes cheveux se lèvent sur ma tête.
sauvez-la du danger de la mort et de la gueule de la bête !
voici de nouveau le goût de la mort entre mes dents,
la tranchée, l’envie de vomir et le retournement.
j’ai été seul dans le pressoir, j’ai foulé le raisin dans mon délire,
cette nuit où je marchais d’un mur à l’autre en éclatant de rire.
celui qui fait les yeux, sans yeux est-ce qu’il ne me verra pas ?
celui qui a fait les oreilles, est-ce qu’il m’entendra pas sans oreilles ?
je sais que là où le péché abonde, là votre miséricorde surabonde.
il faut prier, car c’est l’heure du prince du monde.
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