Nérée Beauchemin

Hantise

Je rêve les rythmes, les phrases
Qui montent dans un vol de feu,
À travers le ciel des extases,
Vers le beau, vers le vrai, vers Dieu.
 
Mon oreille éperdue essaie
De saisir l’infini concert :
Le son précis, la note vraie,
Fuit, revient, et fuit, et se perd.
 
J’aspire au lyrisme extatique,
Et sur les lyres aux sept clés
Je cherche à rendre le cantique
Des psaltérions étoilés.
 
J’invoque l’ange et le prophète,
Les esprits au vol large et sûr :
Le musicien, le poète,
Les chœurs de l’idéal azur.
 
Ô désespérante hantise !
Ô charme du rythme obsesseur !
Quelle est la voix qui s’harmonise
Avec ta céleste douceur.
 
Claviers aux multiples octaves,
Où donc les aurai-je entendus
Les rires clairs et les pleurs graves
De vos lointains accords perdus ?
 
Hélas ! j’ai beau scander mes mètres
Sur le grand mode ionien :
J’ai beau prier les dieux, les maîtres
De l’art nouveau, de l’art ancien :
 
J’ai beau pleurer, j’ai beau me plaindre,
Oh ! non, jamais je ne pourrai,
Je ne pourrai jamais atteindre
Aux divines splendeurs du vrai.

Les floraisons matutinales (1897)

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