Marceline Desbordes-Valmore

L’arbrisseau

La tristesse est rêveuse, et je rêve souvent ;
La nature m’y porte, on la trompe avec peine :
             Je rêve au bruit de l’eau qui se promène,
Au murmure du saule agité par le vent.
J’écoute : un souvenir répond à ma tristesse ;
Un autre souvenir s’éveille dans mon cœur :
Chaque objet me pénètre, et répand sa couleur
           Sur le sentiment qui m’oppresse.
           Ainsi le nuage s’enfuit,
           Pressé par un autre nuage :
           Ainsi le flot fuit le rivage,
           Cédant au flot qui le poursuit.
 
             J’ai vu languir, au fond de la vallée,
             Un arbrisseau qu’oubliait le bonheur ;
L’aurore se levait sans éclairer sa fleur,
Et pour lui la nature était sombre et voilée.
Ses printemps ignorés s’écoulaient dans la nuit ;
             L’amour jamais d’une fraîche guirlande
             À ses rameaux n’avait laissé l’offrande :
           Il fait froid aux lieux qu’Amour fuit.
L’ombre humide éteignait sa force languissante ;
Son front pour s’élever faisait un vain effort ;
Un éternel hiver, une eau triste et dormante
Jusque dans sa racine allaient porter la mort.
 
« Hélas ! faut-il mourir sans connaître la vie !
Sans avoir vu des cieux briller les doux flambeaux !
Je n’atteindrai jamais de ces arbres si beaux
           La couronne verte et fleurie !
Ils dominent au loin sur les champs d’alentour :
On dit que le soleil dore leur beau feuillage ;
             Et moi, sous leur impénétrable ombrage,
           Je devine à peine le jour !
Vallon où je me meurs, votre triste influence
A préparé ma chute auprès de ma naissance.
             Bientôt, hélas ! je ne dois plus gémir !
             Déjà ma feuille a cessé de frémir...
             Je meurs, je meurs. » Ce douloureux murmure
             Toucha le dieu protecteur du vallon.
             C’était le temps où le noir Aquilon
             Laisse, en fuyant, respirer la nature.
             « Non, dit le dieu : qu’un souffle de chaleur
             Pénètre au sein de ta tige glacée.
             Ta vie heureuse est enfin commencée ;
             Relève-toi, j’ai ranimé ta fleur.
             Je te consacre aux nymphes des bocages ;
             À mes lauriers tes rameaux vont s’unir,
Et j’irai quelque jour sous leurs jeunes ombrages
           Chercher un souvenir. »
 
L’arbrisseau, faible encor, tressaillit d’espérance ;
Dans le pressentiment il goûta l’existence ;
Comme l’aveugle-né, saisi d’un doux transport,
Voit fuir sa longue nuit, image de la mort,
Quand une main divine entr’ouvre sa paupière,
Et conduit à son âme un rayon de lumière :
L’air qu’il respire alors est un bienfait nouveau ;
             Il est plus pur : il vient d’un ciel si beau !

Mélanges (1830)

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