Quand vous lirez, ô Dames Lionnoises,
Ces miens escrits pleins d’amoureuses noises,
Quand mes regrets, ennuis, despits et larmes
M’orrez chanter en pitoyables carmes,
Ne veuillez pas condamner ma simplesse,
Et jeune erreur de ma folle jeunesse,
Si c’est erreur : mais qui dessous les Cieus
Se peut vanter de n’estre vicieus ?
L’un n’est content de sa sorte de vie,
Et tousjours porte à ses voisins envie :
L’un, forcenant de voir la paix en terre,
Par tous moyens tache y mettre la guerre
L’autre, croyant povreté estre vice,
A autre Dieu qu’or ne fait sacrifice :
L’autre sa foy parjure il emploira
A decevoir quelcun qui le croira :
L’un en mentant de sa langue lezarde,
Mile brocars sur l’un et l’autre darde :
Je ne suis point sous ces planettes née,
Qui m’ussent pù tant faire infortunée.
Onques ne fut mon oeil marri, de voir
Chez mon voisin mieus que chez moy pleuvoir.
Onq ne mis noise ou discord entre amis :
A faire gain jamais ne me soumis.
Mentir, tromper, et abuser autrui,
Tant m’a desplu, que mesdire de lui.
Mais si en moy rien y ha d’imparfait,
Qu’on blame Amour : c’est lui seul qui l’a fait,
Sur mon verd aage en ses laqs il me prit,
Lors qu’exerçois mon corps et mon esprit
En mile et mile euvres ingenieuses,
Qu’en peu de temps me rendit ennuieuses.
Pour bien savoir avecque l’esguille peindre
J’eusse entrepris la renommée esteindre
De celle là, qui, plus docte que sage,
Avec Pallas comparoit son ouvrage.
Qui m’ust vù lors en armes fiere aller,
Porter la lance et bois faire voler,
Le devoir faire en l’estour furieus,
Piquer, volter le cheval glorieus,
Pour Bradamante, ou la haute Marphise,
Seur de Roger, il m’ust, possible, prise.
Mais quoy ? Amour ne peut longuement voir
Mon coeur n’aymant que Mars et le savoir :
Et me voulant donner autre souci,
En souriant, il me disoit ainsi :
`Tu penses donq, ô Lionnoise Dame,
Pouvoir fuir par ce moyen ma flamme :
Mais non feras ; j’ay subjugué les Dieus
Es bas Enfers, en la Mer et es Cieus,
Et penses tu que n’aye tel pouvoir
Sur les humeins, de leur faire savoir
Qu’il n’y ha rien qui de ma main eschape ?
Plus fort se pense et plus tot je le frape.
De me blamer quelque fois tu n’as honte,
En te fiant en Mars, dont tu fais conte :
Mais meintenant, voy si pour persister
En le suivant me pourras resister.’
Ainsi parloit, et tout eschaufé d’ire
Hors de sa trousse une sagette il tire,
Et decochant de son extreme force,
Droit la tira contre ma tendre escorce :
Foible harnois, pour bien couvrir le coeur
Contre l’Archer qui tousjours est vainqueur.
La bresche faite, entre Amour en la place,
Dont le repos premierement il chasse :
Et de travail qui me donne sans cesse,
Boire, manger, et dormir ne me laisse.
Il ne me chaut de soleil ne d’ombrage :
Je n’ay qu’Amour et feu en mon courage,
Qui me desguise, et fait autre paroitre,
Tant que ne peu moymesme me connoitre.
Je n’avois vu encore seize hivers,
Lors que j’entray en ces ennuis divers ;
Et jà voici le treizième esté
Que mon coeur fut par amour arresté.
Le tems met fin aus hautes Pyramides,
Le tems met fin aus fonteines humides ;
Il ne pardonne aus braves Colisées,
Il met à fiu les viles plus prisées,
Finir aussi il ha acoutumé
Le feu d’Amour tant soit-il allumé :
Mais, las ! en moy il semble qu’il augmente
Avec le tems, et que plus me tourmente.
Paris ayma CEnone ardamment,
Mais son amour ne dura longuement,
Medée fut aymée de Jason,
Qui tot apres la mit hors sa maison.
Si meritoient-elles estre estimées,
Et pour aymer leurs amis, estre aymées.
S’estant aymé on peut Amour laisser,
N’est-il raison, ne l’estant, se lasser ?
N’est-il raison te prier de permettre,
Amour, que puisse à mes tourmens fin mettre ?
Ne permets point que de Mort face espreuve,
Et plus que toy pitoyable la treuve :
Mais si tu veus que j’ayme jusqu’au bout,
Fay que celui que j’estime mon tout,
Qui seul me peut faire plorer et rire,
Et pour lequel si souvent je soupire,
Sente en ses os, en son sang, en son ame,
Ou plus ardente, ou bien egale flame.
Alors ton faix plus aisé me sera,
Quand avec moy quelcun le portera.