Louise Labé

Élégies II – D’un tel vouloir...

 
D’un tel vouloir le serf point ne désire
La liberté, ou son port le navire,
Comme j’attends, hélas, de jour en jour,
De toi, Ami, le gracieux retour.
Là j’avais mis le but de ma douleur,
Qui finirait quand j’aurais ce bonheur
De te revoir ; mais de la longue attente,
Hélas, en vain mon désir se lamente.
Cruel, cruel, qui te faisait promettre
Ton bref retour en ta première lettre ?
As-tu si peu de mémoire de moi
Que de m’avoir si tôt rompu la foi ?
Comme oses-tu ainsi abuser celle
Qui de tout temps t’a été si fidèle ?
Or’ que tu es auprès de ce rivage
Du Pô cornu, peut-être ton courage
S’est embrasé d’une nouvelle flamme,
En me changeant pour prendre une autre Dame :
Jà en oubli inconstamment est mise
La loyauté que tu m’avais promise.
S’il est ainsi, et que déjà la foi
Et la bonté se retirent de toi,
Il ne me faut émerveiller si ores
Toute pitié tu as perdue encore.
O combien a de pensée et de crainte,
Tout à part soi, l’âme d’Amour atteinte !
Ores je crois, vu notre amour passée,
Qu’impossible est que tu m’aies laissée ;
Et de nouveau ta foi je me fiance,
Et plus qu’humaine estime ta constance.
Tu es, peut-être, en chemin inconnu
Outre ton gré malade retenu.
Je crois que non : car tant suis coutumière
De faire aux Dieux pour ta santé prière
Que plus cruels que tigres ils seraient
Quand maladie ils te prochasseraient,
Bien que ta folle et volage inconstance
Mériterait avoir quelque souffrance.
Telle est ma foi qu’elle pourra suffire
A te garder d’avoir mal et martyre.
Celui qui tient au haut Ciel son Empire
Ne me saurait, ce me semble, dédire ;
Mais, quand mes pleurs et larmes entendrait
Pour toi priant, son ire il retiendrait.
J’ai de tout temps vécu en son service,
Sans me sentir coupable d’autre vice
Que de t’avoir bien souvent en son lieu,
D’amour forcé, adoré comme Dieu.
Déjà deux fois, depuis le promis terme
De ton retour, Phébé ses cornes ferme,
Sans que, de bonne ou mauvaise fortune,
De toi, Ami, j’aye nouvelle aucune.
Si toutefois, pour être enamouré
En autre lieu, tu as tant demeuré,
Si sais-je bien que t’amie nouvelle
A peine aura le renom d’être telle,
Soit en beauté, vertu, grâce et faconde,
Comme plusieurs gens savants par le monde
M’ont fait, à tort, ce crois-je, être estimée.
Mais qui pourra garder la renommée ?
Non seulement en France suis flattée,
Et beaucoup plus que ne veux exaltée,
La terre aussi que Calpe et Pyrénée
Avec la mer tiennent environnée,
Du large Rhin les roulantes arènes,
Le beau pays auquel or te promènes,
Ont entendu (tu me l’as fait accroire)
Que gens d’esprit me donnent quelque gloire.
Goûte le bien que tant d’hommes désirent,
Demeure au but où tant d’autres aspirent,
Et crois qu’ailleurs n’en auras une telle.
Je ne dis pas qu’elle ne soit plus belle,
Mais que jamais femme ne t’aimera,
Ne plus que moi d’honneur te portera.
Maints grands Signeurs à mon amour prétendent,
Et à me plaire et servir prêts se rendent ;
Joutes et jeux, maintes belles devises,
En ma faveur sont par eux entreprises :
Et néanmoins, tant peu je m’en soucie
Que seulement ne les en remercie :
Tu es, tout seul, tout mon mal et mon bien ;
Avec toi tout, et sans toi je n’ai rien ;
Et n’ayant rien qui plaise à ma pensée,
De tout plaisir me treuve délaissée,
Et, pour plaisir, ennui saisir me vient.
Le regretter et plorer me convient,
Et sur ce point entre tel déconfort
Que mille fois je souhaite la mort.
Ainsi, Ami, ton absence lointaine
Depuis deux mois me tient en cette peine,
Ne vivant pas, mais mourant d’un amour
Lequel m’occit DIX mille fois le jour.
Reviens donc tôt, si tu as quelque envie
De me revoir encore un coup en vie.
Et si la mort avant ton arrivée
A de mon corps l’aimante âme privée,
Au moins un jour viens, habillé de deuil,
Environner le tour de mon cercueil.
Que plût à Dieu que lors fussent trouvés
Ces quatre vers en blanc marbre engravés :
 
PAR TOI, AMI, TANT VÉQUIS ENFLAMMÉE
QU’EN LANGUISSANT PAR FEU SUIS CONSUMÉE
QUI COUVE ENCOR SOUS MA CENDRE EMBRASÉE,
SI NE LA RENDS DE TES PLEURS APAISÉE.
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