Louise Colet

Envoi.

Tu le sais, le cœur seul a dicté ce poème ;
Là, point de fictions, point d’art et point d’emblème
En modulant ces vers, mon luth n’a pas menti ;
Il peint fidèlement ce que j’ai ressenti :
Les tourments de l’esprit, les angoisses de l’âme,
De mon simple récit ont composé, le drame.
Je n’ai pas inventé, pour te mieux attendrir,
De factices malheurs qu’on décrit sans souffrir.
J’ai dit avec candeur mon histoire ingénue ;
Le monde l’ignorait lorsque tu m’as connue :
Nul mortel, avant toi, ne m’avait demandé.
Le secret de mes pleurs ; et je l’avais gardé.
Seule, tu me cherchas, et tu voulus entendre
Les chagrins de ce cœur enthousiaste et tendre ;
Le livre de ma vie, alors, te fut ouvert ;
Ma muse s’inspira de ce que j’ai souffert ;
Et dans des chants plaintifs, en naïves peintures,
Elle traça mes vœux, mes rêves, mes tortures.
Dès mes premiers accents ton cœur parut touché ;
Puis chaque jour, en toi, le mien s’est épanché.
Ma modeste épopée ainsi s’est élargie,
Et le poème, alors, remplaça l’élégie.
En déployant mon vol, mon sujet s’agrandit ;
Je t’ai parlé longtemps : mais, je n’ai pas tout dit.
Notre âme sent en elle, aussitôt qu’on la sonde,
Croître et se dérouler l’immensité d’un monde.
On peut en explorer un champ vierge et fécond ;
Mais on y trouve aussi des abîmes sans fond,
Que l’homme ne voit pas, ou qu’il ne saurait peindre ;
Car il sent sur leurs bords le vertige l’atteindre :
Son impuissance alors l’arrête à chaque pas ;
Il voudrait se décrire et ne se connaît pas !
Ces profondeurs, que couvre un éternel mystère,
Attiraient mes pensers... ma voix a dû les taire.
Cependant, j’aurais pu joindre encore à mes chants,
D’autres rêves d’amour, d’autres désirs touchants :
Mêlant au souvenir chaque image présente,
J’aurais pu compléter mon œuvre insuffisante.
Ainsi, chaque saison on voit le jeune ormeau
A son feuillage ancien unir un frais rameau :
Mais, tandis qu’il s’accroît, si la foudre le brise,
Pour lui plus de soleil, de rosée et de brise :
Mon amour, c’est le fil auquel se tient ma vie !
Je me serais jetée entre ses bras tremblants ;
J’aurais de ma couronne orné ses cheveux blancs ;
Et, voyant dans ses yeux briller de douces larmes.
Ah ! de la gloire, alors, j’aurais compris les charmes !!!
 
Comme un éclair d’été, qui s’éclipse sans bruit,
Tel, sans réalité, mon espoir fut détruit ;
Ici-bas, désormais, s’est épuisé mon rêve :
C’est vers un but nouveau que mon esprit s’élève !
Pour voir à l’idéal succéder le réel,
Je voudrais déployer mes ailes vers le ciel ;
Je voudrais m’affranchir de cette vie amère,
Et déjà reposer ou repose ma mère !!!

Fleurs du midi (1836)

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