« Insensée, à ces cœurs fardés d’hypocrisie,
Qui profanent l’amour, que l’amour rassasie,
Tu demandais en vain
Cette source du ciel où l’on se désaltère ;
Ils avaient mélangé les fanges de la terre,
A son nectar divin !...
« Tous ceux dont les pensers te charment dans un livre,
Sont des anges déchus qui ne savent pas vivre
Comme ils savent rêver :
Ils ont de faux bonheurs et de fausses tristesses,
Et toi, naïvement tu crois à leurs ivresses,
Et veux les éprouver !...
« Hélas ! ne vois-tu pas que la foule te raille,
Quand de gloire et d’amour ton âme qui tressaille
Est prête à se briser !
Tu conserves l’espoir, ton erreur se prolonge,
Et tu vas, épuisant tes jours de songe en songe,
Sans rien réaliser !! »
Mais, cette voix qui rend tout sentiment athée,
Cette voix du malheur, grave, désenchantée,
Ne retentissait pas dans mes rêves d’amour :
Rêves que Dieu fait naître, et qu’on perd en un jour.
Ce ne fut qu’en tombant de ces sphères d’élite,
Où, dans son vol hardi, notre pensée habite,
Que je vis l’idéal par mon âme enfanté,
S’évanouir soudain sous la réalité,
Comme ce fruit doré des bords de la mer Morte,
Dont la cendre jaillit quand la lèvre s’y porte :
On eût dit que le sort, implacable et moqueur,
Se plût à décevoir les rêves de mon cœur.
Alors ce cœur brisé par sa longue souffrance
Eut des désirs sans but, des vœux sans espérance :
Tous les biens d’ici-bas me semblèrent souillés ;
Le prisme était détruit... à mes yeux dessillés.
Dans un cercle borné, la vie apparut terne,
Comme le soleil vu dans le lac noir d’Averne ;
Et je sentis en moi pénétrer lentement,
Cette mort du bonheur.... le Désenchantement.