Louise Colet

La promenade.

Oh ! ne me conduis plus dans ces fêtes frivoles
Où les rêves du cœur ne sauraient se fixer ;
Où de la vanité les brillantes idoles
Obtiennent des succès qu’un jour doit effacer :
Dis-moi, pourquoi veux-tu qua ce monde j’étale
Les rêves de bonheur que je forme en secret,
Désirs mystérieux d’une âme virginale
Que de son souffle impur soudain il flétrirait ?
 
Je sais lui dérober les sentiments qu’il raille ;
Et légère et folâtre au milieu des plaisirs,
Quand de gloire et d’amour mon cœur ému tressaille.
Je feins, pour l’abuser, de frivoles désirs :
Et lui, ne levant pas le voile qui me cache.
A mon air dédaigneux, à mes regards railleurs.
N’a jamais soupçonné l’âme ardente et sans tache
Qui pleure, et sympathise à toutes les douleurs.
 
Mais qu’au sein de ce monde un cri sincère échappe,
Qu’un cœur triste et souffrant appelle un cœur ami ;
Comme l’écho répond à l’accent qui le frappe,
Mon âme entend la voix qui près d’elle a gémi :
Ainsi je t’ai compris ; et, me sentant aimée,
J’ai fui ces faux plaisirs pour n’être plus qu’à toi ;
La solitude plait à mon âme charmée,
Et le monde aujourd’hui n’est qu’un désert pour moi...
 
Le voile de la nuit dans les cieux se déploie ;
Viens ! fuyons ces clameurs dont les airs sont frappés
Le cœur n’éprouve ici qu’une factice joie :
Viens ! allons nous asseoir sur ces rocs escarpés ;
Je guiderai tes pas ; vois-tu ces champs superbes
Où la vigne a formé de verdoyants sillons ?
Vois-tu ces moissonneurs folâtrant sur les gerbes,
Et dont les cris joyeux animent nos vallons ?
 
Le jour a disparu derrière la colline ;
Contemple à l’horizon ces flots d’or et d’azur ;
Ils succèdent aux feux du soleil qui décline :
Vois, comme tout est beau ! Comme le ciel est pur !
Vois, la nuit qui s’étend n’a pas de sombres voiles ;
Tel qu’un phare brillant entouré de flambeaux,
Il plane sur ces monts, l’astre ami des tombeaux !
             Escorté de milliers d’étoiles !
 
Mon cœur est pénétré d’un doux ravissement.
Avançons à pas lents ; que ton bras me soutienne ;
L’amour est doux ici ; mets ta main dans la mienne,
Parle-moi du bonheur qu’on éprouve en aimant :
Entends-tu des forêts le bruissement sonore ?
Le chêne retentit sous les ailes du vent,
Et des cloches du soir le son se mêle encore
             A la voix du torrent...
 
De ces rochers déserts nos pieds foulent la cime ;
Arrêtons-nous ici sur ces débris sans nom :
Dis-moi, ne sens-tu pas une extase sublime
Quand tu peux d’un regard embrasser l’horizon !
Vois comme l’Océan vient mourir sur la plage ;
De rapides vaisseaux fendent ses flots amers :
Oh ! je voudrais, fuyant vers un lointain rivage,
Contempler avec toi l’immensité des mers !
 
Vois ces globes de feu scintiller dans la nue ;
Vois ces monts nébuleux que la neige a couverts ;
Leur sommet dans les cieux se cache à notre vue,
Et le fleuve mugit dans leurs flancs entr’ouverts :
Vois ce lac transparent qu’un vieux château domine,
Et cette tour gothique où tintait le beffroi ;
L’oiseau des nuits planant sur ces murs en ruine
             Fait entendre son cri d’effroi.
 
Aux regards de l’amour que la nature est belle !
Ces chaumières, ces bois font palpiter mon cœur :
Ici, seule avec toi... chaque objet me révèle
             Un asile pour le bonheur.
 
Regarde, sous nos pieds la cité se déroule ;
De ses plaisirs bruyants, non, tu n’es plus jaloux ;
Parmi ses habitants qui se pressent en foule
Est-il un seul mortel plus fortuné que nous ?
 
Partage ce bonheur que mon âme préfère :
Ne cherche plus des biens qui ne font qu’éblouir ;
Dans un monde pervers, dis-moi, qu’irais-tu faire ?
             On t’apprendrait à me trahir.

Fleurs du midi (1836)

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