Louise Colet

Le fruit de la pensée.

Le fruit de la pensée est amer pour ma bouche,
Et la cendre en jaillit aussitôt que j’y touche ;
Et cependant ma lèvre, alors qu’elle le fuit,
Sent une ardente soif qui la brûle et l’altère,
Et je reviens encore demander à la terre
L’arbre de la science, et j’en cueille le fruit.
 
Fruits stériles et morts qui n’avez point de germe,
Œuvres vivant un jour, et que la tombe enferme,
Créations de l’homme où Dieu n’a point de part,
Rêves de vanité, de gloire et de folie,
Sources d’énervement où mon âme s’oublie,
La fortifierez-vous à l’heure du départ ?
 
Ainsi que le mineur sous la terre inféconde
S’épuise et cherche en vain de l’or ; ainsi le monde
Voit s’épuiser notre âme en efforts de géant ;
L’espérance l’entraîne au sentier qu’elle creuse ;
Elle marche toujours, ardente et courageuse.
Puis se sent défaillir en face du néant.
Du néant des grandeurs et des gloires humaines.
Des sciences, des arts, dont les vastes domaines
Ne lui verseront pas d’ondes pour s’étancher ;
Du néant qui, railleur, l’accable et l’humilie.
En jetant le dégoût comme une amère lie
Au fond de tous les biens que l’orgueil fait chercher.
 
Que ne puis-je, fuyant le monde qui m’entoure,
Ne plus boire à la coupe où ma lèvre savoure
L’enivrement de l’âme et l’oubli des douleurs ;
Et, portant le fardeau d’une immense tristesse,
Dire à l’humanité, comme la prophétesse.
Des secrets qu’ont ravis la prière et les pleurs.
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