Joseph Autran

Avant que mon adieu salue

Avant que mon adieu salue avec tristesse
Paris, ce beau Paris qui fut l’humble Lutèce,
Et que j’aille revoir les fortunés climats
Où Marseille au rivage aligne tant de mâts,
Laisse-moi rafraîchir, ami, dans ta mémoire,
La promesse qu’un jour tu me fis après boire,
Promesse que je veux, à ce dernier moment,
Lier d’un nœud si fort qu’elle vaille un serment.
Oui, dimanche dernier, tandis qu’assis à table
Nous fêtions l’amitié récente et déjà stable :
Libre un jour, me dis-tu, j’irai, fuyant Paris,
Visiter au soleil vos rivages fleuris.—
 
Esprit aventureux que le caprice emporte,
Hâte-toi donc vers nous. Assise sur la porte,
Notre hospitalité, douce aux nouveaux venus,
Dans l’aiguière d’argent lavera tes pieds nus.
Viens, nous t’accueillerons comme oh accueille un frère :
De tes pesants travaux jaloux de te distraire,
Nous te ferons goûter, exempt de tout lien,
Les loisirs que nous donne un ciel italien.
Tu dois avoir besoin, journalier de la Presse,
De déposer parfois le fardeau qui t’oppresse.
Terrible est ton labeur : sur le même sillon,
S’incliner chaque jour, pressé par l’aiguillon ;
A la pluie, au soleil, marcher tête baissée,
Pour semer ou cueillir le grain de la pensée ;
Au troupeau des esprits aplanir le chemin ;
Pressentir le secret de chaque lendemain ;
Au monde, enfin, donner la lumière et la vie,
Et des sots en retour n’obtenir que l’envie,
Une tâche pareille use le plus dispos ;
Viens donc, viens près de nous essayer du repos.
Pour délasser tes nerfs de leurs âpres secousses,
Tu trouveras ici des mœurs simples et douces,
La tranquille province à l’esprit lent mais droit,
Et le temps à passer moins lourd que l’on ne croit.
Pour qu’il goûte ici-bas, durant son court passage,
Le calme cher aux dieux et non moins cher au sage,
Que faut-il au poète ? Un loisir sans ennui,
Le soleil sur sa tête et la mer devant lui !
 
La mer ! Tu la verras cette merveille immense,
Vieux chef-d’œuvre que Dieu sans cesse recommence,
A chaque heure du jour, changeant l’aspect de l’eau,
Comme un peintre indécis qui refait son, tableau.—
Si tu n’as encore vu, sur la côte normande,
Que le sombre Océan, à qui nul ne commande,
Tu n’as vu qu’un vieillard aux airs mornes et froids,
Taciturne et grondeur, comme sont les vieux rois.
La mer où je t’appelle a l’aspect moins farouche :
De souffles odorants elle embaume sa couche ;
Des rayons d’un beau ciel ses flots sont toujours teints.
Elle affecte des airs folâtres ou mutins.
Variable, fantasque, elle rit, elle pleure ;
De la colère au calme elle passe dans l’heure.
La Méditerranée est la femme à vingt ans,
La folle courtisane aux caprices flottants :
 
Dénouant ses cheveux qu’aucun réseau n’enferme,
Vagabonde, elle court de Marseille à Palerme,
Et, pour orner sa robe opulente en couleurs,
Des lointains archipels va moissonner les fleurs.
Il est beau de la voir, le matin, à la grève,
Quand du sombre horizon la jeune aube se lève,
Et semble un lis d’argent qui, lentement éclos,
A sa corolle au ciel et son pied dans les flots.
Il est beau de la voir, il est doux de l’entendre
Le soir, lorsque sa voix prend un accent plus tendre,
Et qu’aux pins, agités de nocturnes frissons,
D’une vague musique elle jette les sons.
Ce qu’elle dit alors, sous l’étoile sereine,
C’est un chant triste et doux, de Muse et de Sirène,
Qui conseille l’amour, foyer d’enivrements,
Ou nous parle des morts dans le passé dormants.
Au poète rêveur, son unique auditoire,
Elle raconte aussi l’universelle histoire,
Fastes et souvenirs dont peuvent témoigner
Tant de marbres épars que son flot vient baigner !
Tous les drames fameux qu’a joués l’ancien monde,
Pour théâtre mouvant n’ont-ils pas eu son onde ?
Législateurs, soldats, les chefs du genre humain,
N’ont-ils pas tous, un jour, passé par son chemin ?
N’a-t-elle pas bercé dans son sillon bleuâtre
La barque de César, celle de Cléopâtre ;
Conduit au saint tombeau les preux bardés de fer,
Et jeté vers le Nil Bonaparte et Kléber ?
Sa grande voix, enfin, qui monte de la rive,
Sourd grondement, clameur triomphale ou plaintive,
Bruit qui sort de l’écueil sous l’écume effacé,
N’est-elle pas toujours-un écho du passé ?...
 
C’est là que-tu viendras ; c’est là, sous une treille
Où meurent les rumeurs de l’active Marseille,
Que ta place est marquée, et qu’en mai je t’attends,
Ami d’un jour, plus cher qu’un ami de vingt ans !...

Les Poèmes de la mer (1859)

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