Joseph Autran

Chansons du soir

Après un jour d’été, quand la ville s’endort,
Qu’elle étouffe l’écho de ses rumeurs dernières ;
Quand les lampes du soir dans les maisons du port
S’allument, et sur l’eau projettent leurs lumières ;
 
Le long des quais obscurs, il est doux d’écouter,
Dans cet apaisement des heures recueillies,
Les airs que les marins se prennent à chanter
D’une âme enfin rendue à ses mélancolies.
 
Préludant au sommeil qui va bientôt venir,
Ce chant, dont la tristesse à temps égaux s’exhale,
Pour chaque matelot est comme un souvenir,
Comme une vision de la terre natale.
 
Marqué de son accent chaque peuple a le sien :
L’Anglais un rythme dur, mêlé de quelque ivresse,
L’Espagnol un refrain pieux, l’Italien
Des couplets que l’amour emmielle de tendresse.
 
Mais, entre ces accords, à mon gré le plus doux,
C’est l’air vague et plaintif, la sourde cantilène
Que les matelots grecs, hôtes fréquents chez nous,
Chantent sur leur navire, assis vers la poulaine.
 
Sans varier d’un son, d’où viens-tu, chant si vieux,
Héritage flottant qu’un siècle à l’autre envoie ?
Est-il vrai, matelots, que, parmi vos aïeux,
On le chantait aux jours de la guerre de Troie ?...

Les Poèmes de la mer (1859)

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