Joseph Autran

L’étude

Sous la treille, à midi, pendant que la maison
Repose, et que les blés, jusques à l’horizon,
Sous ce vent frais et doux qui chaque jour s’élève,
Roulent comme des flots attirés par la grève,
L’un près de l’autre assis, tous deux gardent le seuil :
Tous deux, l’aimable enfant, au front pur, au bel œil,
Garçon qui sur sa joue a des teintes vermeilles,
Et le grand chien de chasse aux pendantes oreilles.
 
Un livre est sous leurs yeux, un volume latin
Que le maître à l’enfant confia ce matin.
Il s’agit d’épeler, sur l’ordre du digne homme,
Ce gros livre un peu lourd, plein des fastes de Rome ;
D’y connaître Tarquin, d’y fréquenter Brutus.
Et de s’y bien nourrir des antiques vertus.—
Or, l’enfant, dont cet ordre a glacé le sourire,
Lit tout bas, et le chien lui-même semble lire.
L’écolier, par moments, relève un peu le front.
L’étude a bien son prix, mais un rien l’interrompt :
Pour qu’on néglige enfin les Volsques, pour qu’on laisse
Rentrer sournoisement le mari de Lucrèce,
Ou le fier Scaevola s’approcher du brasier,
Que faut-il ? Qu’un oiseau chante dans le rosier,
Qu’un papillon, dont l’aile au hasard se gouverne,
Vienne poser son vol sur un brin de luzerne !
Au contraire le chien, qui d’ailleurs se fait vieux.
Le brave et digne chien ne quitte pas des yeux
Son De Viris, ouvert largement sur la pierre.
A son air immobile, au pli de sa paupière,
On dirait qu’à défaut de l’indolent garçon
Il veut au moins qu’un autre apprenne la leçon.
 
A la fin cependant, pris de fatigue, il bâille ;
Et son voisin alors : Travaille, ami, travaille !
Quiconque est paresseux ne saura jamais rien.
Si je te parle ainsi, d’ailleurs, c’est pour ton bien ;
Car, du livre endormant qu’on parcourt feuille à feuille,
Dieu sait tout le profit que, plus tard, on recueille !

Le Poème des beaux jours (1862)

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