Jean Aicard

Promenade.

Nous qui croyons souffrir, songeons à la souffrance
De ceux qui vivent seuls, sans même une espérance,
             Et qui mourront tout seuls ;
Regardons les méchants et ceux de qui la vie
N’a d’autre but que d’être à jamais asservie
Aux choses dont la mort fait les vers des linceuls !
 
Vois les hommes des champs ; vois les hommes des villes :
Les combats étrangers ou les guerres civiles
             Déchirer leurs esprits ;
Jette un profond regard sur l’histoire profonde,
Et devant les forfaits entrevus sous cette onde,
Dis-moi ce que ressent ton pauvre cœur surpris.
 
Après avoir sondé toutes ces noires choses,
Regarde, là, tout près, les fleurs blanches ou roses
             Sourire au grand ciel bleu ;
L’arbre étend ses longs bras, lorsqu’avec toi je passe,
Pour nous bénir, et Dieu rayonne dans l’espace,
Car l’arbre nous connaît et nous connaissons Dieu !
 
Amie, et délivrés de la ville lointaine
Dont le bruit nous arrive ainsi qu’un bruit de chaîne,
             Essuie enfin tes pleurs !
Vois : la brise s’endort ; l’eau paisible s’écoule ;
Est-il bonheur plus grand que d’oublier la foule,
D’être aimé des oiseaux, et d’être aimé des fleurs ?

Les jeunes croyances (1867)

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