Jacques Prévert

Un livre pour enfants

Les grandes personnes que les enfants appellent leurs parents jetteront peut-être sur ce livre un coup d’œil distrait, amusé mais ne le verront ni ne l’entendront ni du même œil ni de la même oreille que les enfants. les grandes personnes, les adultes, gens raisonnables ont l’esprit critique.
Les enfants aussi mais ce n’est pas esprit pareil, ils n’ont pas le même radar.

Alors, il se peut qu’en caressant affectueusement à rebrousse-poil les cheveux de leur enfant, le père ou la mère lui disent en souriant : «
Une bête merveilleuse avec des bottines rouges et qui se pend au lustre et renverse l’armoire.
Voyons, grosse bête, ça n’arrive jamais ces choses-là
I »

Les gens raisonnables ont l’habitude de chercher « la petite bête », c’est si facile à trouver.

Les enfants sont plus difficiles, plus exigeants et, entre ce qui arrive ou ne peut arriver, ils ne trouvent pas que c’est tellement simple de choisir.

Un livre arrive à la maison avec une histoire, des images et une bête dedans, l’enfant entre dans l’histoire et comme la bête est merveilleuse, s’entend tout de suite avec elle et même, si elle fiche tout en l’air, ils font bon ménage ensemble.

Si invraisemblable qu’elle paraisse, il la compare et la préfère à un tas de véritables gens, et réussit à croire que c’est arrivé, que c’est vrai comme un rêve vrai.

Et l’enfant peut habiter une vraie et confortable maison ou un deux trois pièces dans une
HLM avec vue sur la mer, une mer de béton armé, il garde en poche la clef que la merveilleuse bête lui a donnée, la clef du grenier des rêves éveillés.

Les parents ne devraient jamais confisquer cette clef

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