Jacques Prévert

Elephant...

Éléphant
 
je pense souvent à toi
 
quand je suis tout seul
 
quand je suis avec les autres
 
quand je me promène dans la campagne avec une petite badine
 
quand je me lave les dents le matin
 
et quelquefois quand je dors ton grand corps se promène dans mes rêves
 
Ce n’est pas du respect que j’ai pour toi
 
je n’ai pas non plus de tendresse comme on dit
 
je ne suis pas ton ami
 
je pense à toi comme ça
 
Je sais que tu existes encore
 
et je suis content
 
Tu es le grand animal je connais tes oreilles
 
Enfant je suis monté sur toi dans un jardin
 
je t’ai vu dans les documentaires
 
je t’ai vu à
Hambourg
 
je t’ai vu en breloque en pain d’épice
 
je t’ai vu sur la gomme éléphant
 
Je te vois tel que tu es
 
Présent comme une véritable chose vivante
 
Et tout ce que les hommes racontent sur toi
 
me fait rire
 
du mauvais rire
 
Deux points
 
Que tu te caches pour faire l’amour
 
que tu te caches pour mourir
 
Et que les poils de ta queue portent
 
bonheur aux amours des humains
 
Éléphant
 
Tu es plus beau qu’un nuage
 
Le nuage pleut quand il crève
 
mais toi tu te fous des marchands de parapluies
 
Et quand tu te promènes avec ta femme et tes
 
petits dans ton paysage
Tu es plus beau qu’un nuage
Une véritable chose vivante
Tu ne collectionnes pas les timbres-poste
Tu ne portes pas comme l’homme des lunettes en fausse écaille de tortue
Et quand captif tu passes dans les villes
Tu es indifférent aux choses compliquées
Un homme te pique les fesses pour que tu ailles
 
plus vite
Et tu cours plus vite pour ne pas contrarier le
 
moustique
Si vous arriviez en retard on le foutrait à la
 
porte du cirque et tu n’y tiens pas– tu cours –Tu as une drôle de façon de courir
Tu as une drôle de façon de te souvenir
 
Tu est une véritable chose vivante je ne t’oublie pas
Je pense souvent à toi... je te serre la trompe.
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