Henri-Frédéric Amiel

Chanson d’Escalade.

L’heure a sonné, les échos de Genève
Ont dit : Savoie ! et, plus prompt que le vent,
Ce cri, parti du pied du vieux Salève,
Éveille au Nord un autre écho vivant.
Du bleu Léman nous séparent cent fleuves ;
De l’Escalade, un long passé qui dort ;
Mais pour chanter son lac ou nos épreuves,
Du Genevois le cœur palpite encor.
 
Qu’importe au cœur, ou le temps ou l’espace !
Dans leurs prisons il ne s’enferme pas :
Aigle planant plus haut que ce qui passe,
Son vol royal dédaigne tout compas.
Philtre certain, tant que dans sa poitrine
Bout un sang pur, l’homme est sain, jeune et fort ;
Qu’il tienne plume, outil ou carabine,
Du Genevois le cœur palpite encor.
 
La vie aussi toujours plus nous sépare ;
Vers l’horizon mènent mille chemins :
Chacun va, vient, revient, cherche et s’égare ;
Où pourrons-nous nous revoir, pèlerins ?
Dans les forêts il est une prairie ;
Tous les sentiers s’y rendent comme au port ;
Grütli boisé, ce lieu c’est la patrie :
Allons-y tous, notre cœur bat encor.
 
Patrie, ô mère auguste et vénérée,
Dans tes enfants l’amour n’a point failli ;
Quand ton appel retentit, voix sacrée,
A cet accent, mère, ils ont tressailli.
Et, sur ton sol comme au lointain rivage,
Humble ou puissant, dans la gêne ou dans l’or,
Jeune ou blanchi par les neiges de l’âge,
Du Genevois le cœur palpite encor.
 
Du Temps, amis, chaque battement d’ailes,
Efface, efface et nos mœurs et nos traits ;
Ô souvenir, sans les âmes fidèles,
Toi-même, hélas ! aussi disparaîtrais.
Ah ! serrons-nous autour des vieilles fêtes,
Sous leur drapeau, du temps bravons l’effort :
Que des aïeux, pour sauver les conquêtes,
Du Genevois le cœur palpite encor !
 
Dans le sépulcre où vont les cités mortes,
Tu vas, dit-on, cité de nos aïeux ;
Oui, l’ennemi, Genève, est à tes portes !
Debout, patrie, et réveille tes dieux !
Tout n’est pas dit : La pierre de la tombe
N’a pas encor sur toi scellé la mort :
Sur le déluge a passé la colombe...
Du Genevois le cœur palpite encor.
 
Il est toujours sur cette vieille terre
Des fronts brillant d’honneur et de fierté ;
De nobles cœurs que rien de vil n’altère,
Que rien de grand n’a jamais déserté.
Rien n’est perdu : Dieu nous laisse une chance :
On peut dompter ou détourner le sort.
Jurons de vivre ! amis, bonne espérance !
Du Genevois le cœur palpite encor.

Grains de mil (1854)

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