Germain Nouveau

Le teint

Vous êtes brune et pourtant blonde,
Vous êtes blonde et pourtant brune...
Aurais-je l’air, aux yeux du monde,
D’arriver tout droit de la lune ?
 
Et cependant, on peut m’en croire,
Vous êtes l’une et l’autre chose
Comme Vous êtes blanche et noire,
Des cheveux noire et de chair, rose.
 
Mais peut-on dire dans le monde,
La plaisanterie est commune :
« Si votre belle Amie est blonde,
Elle est blonde, elle n’est pas brune ».
 
À moins d’arriver de la lune,
Peut encor dire tout le monde :
« Si votre belle Amie est brune,
Elle est brune, elle n’est pas blonde ».
 
Pourtant ! le savez-vous mieux qu’Elle ?
Leur répondrai-je (Tu supposes)
Eh bien ! moi, je ne sais laquelle
Elle est le plus de ces deux choses.
 
Bien que personne n’y consente
Et qu’elle semble inconséquente,
C’est une brune languissante
Et c’est une blonde piquante.
 
Aurais-je la bonne fortune
De mettre d’accord tout le monde,
Concédez-moi donc qu’elle est brune,
Je vous accorde qu’elle est blonde.
 
Elle a, pour faire à tout le monde
Une concession encore,
Une longue mèche de blonde
Dans ces cheveux bruns, qui les dore.
 
Enfin, je vous dis qu’elle est brune,
Je vous répète qu’elle est blonde,
Et si j’arrive de la lune,
Je me moque de tout le monde !
 
Après tout, ce n’est pas ma faute
Si, sous ses longs cheveux... funèbres,
Le corps blanc dont votre âme est l’hôte
A du soleil... dans ses ténèbres.

"Valentines (1885)"

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