Gérard de Nerval

Épître à M. de Villèle

Ministre financier, que la France révère,
Que les heureux aînés ont appelé leur père,
Et qui, sachant que l’or pourrait nous pervertir,
Cherche de tous côtés des gens à convertir ;
Permets qu’émerveillé de tes talents sublimes,
Un enfant d’Apollon t’adresse quelques rimes.
Des Muses, il est vrai, tu ne fais pas grand cas,
Et la double colline a pour toi peu d’appas ;
On sait que tu n’as point, expert en beau langage
Rimé l’ Indifférence ou le Bois du Village ;
Mais apprends que les vers peuvent avoir leur prix,
C’est par-là qu’on est grand dans de petits écrits,
Qu’on vit dans l’avenir, et qu’un sage ministre
N’est pas, après sa mort, oublié comme un cuistre.
 
L’homme s’illustre en vain, si la postérité
Ne lit en de beaux vers son immortalité ;
Sans Homère, a-t-on dit, qui connaîtrait Achille ?
Baour, depuis long-temps, a bien changé de style,
Mais qui saurait sans lui, dans des siècles nouveaux,
Que Bonaparte fut, et qu’il fut un héros ?
 
Ta splendeur, je l’avoue, est plus durable encore,
Ô toi dont le déclin tarde à suivre l’aurore,
Où pourras-tu trouver un Baour pour chanter
Le succès des grands coups que tu sais méditer,
Qui t’ait vu, te connaisse, et dise qu’il t’admire,
Ou sans rire soi-même, ou sans prêter à rire ?
 
Sauf ces deux clauses-là, tu pourras à Paris
Trouver des vers flatteurs cotés à très-bas prix ;
Dans ce vaste comptoir de toute renommée,
On peut, au poids de l’or, trouver delà fumée ;
Au lieu d’un vil métal, que d’honneur t’est offert !
Si lu veux qu’on t’appelle un Turgot, un Colbert,
Ne te consume point en bienfaits inutiles ;
Ces titres à gagner te seront très faciles,
Pour cinq cents francs au plus on peut les accorder,
Et même pour trois cents, si tu sais marchander.
Mais l’honneur, le pouvoir, l’éclat qui t’environne
Me donnent le désir de chanter ta personne.
Ne me dédaigne pas, malgré tout ce qu’on dit,
Mes vers sauront encore te remettre en crédit.
C’est en vain qu’un poète avait de ta cuisine
Et de ton ministère annoncé la ruine ;
Ne t’en effraye point, l’avenir incertain
Ne peut plus dévoiler les arrêts du destin :
Cependant si ton âme en eut quelque tristesse,
Je veux la ramener aux jours de ta jeunesse,
Et ranimant ton cœur, qu’un présage a glacé,
Rajeunir son espoir de l’éclat du passé.
Oui, je veux raconter ton héroïque histoire,
Je veux chanter les jours si chers à ta mémoire,
Où ton aspect saisit d’un désir amoureux
Le cœur novice encore d’une vierge aux doux yeux,
Ton démon familier y sera mis en scène,
Je dirai tes succès sur les bords de la Seine,
Et comment ton grand nom, d’un beau titre anobli,
Fut proclamé vainqueur au Château-Rivoli.
Mais aussi ta faveur doit être mon salaire ;
Mets-moi de ton écot ; je puis au ministère,
Comme ce Martignac qu’on a déjà vanté,
Entonner l’hymne auguste à ta prospérité...
Voudrais-tu, dès l’abord, connaître ma personne ?—
Je me nomme Beuglant : à ce nom qui t’étonne ?
Peut-être il te souvient que l’un de mes écrits
Fit rire à tes dépens les cadets de Paris ;
C’était, à ce qu’on trouve, une pièce assez drôle,
Et ta noble excellence y jouait un beau rôle...
Oh ! tu l’as fort bien pris ; un autre aurait, dit-on,
Mis l’ouvrage à l’index, et l’auteur en prison ;
Mais toi, quand un mouchard, croyant faire œuvre pie,
Du livre à peine éclos te porta la copie,
Tu ne dépêchas point un mandat à l’auteur ;
Mais tu ris en ta barbe et dis : C’est un farceur !
 
C’était fort bien agir, et ma reconnaissance
D’un poème déjà t’a donné l’espérance ;
En attendant le jour désigné par le sort,
Pour voir ou sa naissance, ou peut-être sa mort,
Je voudrais avec toi jaser pour me distraire ;
Histoire de parler, car c’est peu nécessaire.
Dans ce superbe hôtel, où règne ton pouvoir,
Qui t’étonne le plus ?—Sans doute de t’y voir.
En effet, quand bien loin des bords de la Garonne,
Le pays de Parny vit ton humble personne,
Quand, d’un maigre colon aussi maigre employé,
Tu vivais d’un travail qui t’était mal payé,
Pouvais tu, dans ton cœur, d’une telle puissance
Accueillir la pensée et gonfler l’espérance ?
 
Peut-être !—Le génie encore à son matin,
Sait souvent pressentir un sublime destin :
On dit, que loin des jeux, écolier solitaire,
Bonaparte rêvait l’empire de la terre,
Et que de ses grandeurs l’espoir audacieux,
Comme un vaste tableau, passait devant ses yeux.
 
Sauf la comparaison, peut-être que toi-même
Tu rêvas le pouvoir, sinon le diadème ;
Las d’exercer ton bras sur des noirs révoltés,
Souvent, tournant les yeux vers nos bords regrettés,
Tu pensas aux grandeurs, et peut-être... à la gloire :
La gloire !... Oh non, ce mot n’a rien que d’illusoire,
C’est un mot bien ronflant, mais qui sonne le creux ;
L’argent est plus solide, et tinte beaucoup mieux.
C’est ce que tu compris, quand riche d’une épouse
Des bords lointains du Cap, tu revins à Toulouse ;
Un si noble génie en France replanté
Ne pouvait demeurer en son obscurité.
Elu maire, bientôt l’amour de la patrie
S’éveilla, comme un songe, en ton âme attendrie,
Et ce beau sentiment l’échauffant par degrés,
Tu rêvas le bonheur de tes administrés ;
Leur bourse cependant étant fort aplatie,
Tu pelotas d’abord, en attendant partie,
Comme l’on fait toujours ; et de leur bien jaloux.
Tu voulus commencer par leur tâter le pouls.
Tu n’en eus pas le temps, car l’aveugle fortune
Te porta d’un seul coup au pied de la tribune,
Et fixant à la fois tes vœux irrésolus,
Te saisit au collet, pour ne te quitter plus.
 
Alors de mieux en mieux : bientôt le ministère
Ennoblit pour toujours ta race roturière ;
Avant toi sur ce siège un autre était assis,
Il partit, tu pris place ;—Allons, saute marquis !
 
C’est un grand pas de fait ; ministre ! quel beau titre !
Du bonheur des Français te voilà donc l’arbitre ;
Tu peux, jetant partout de bienfaisants regards,
Secourir le malheur, et protéger les arts ;
De la bonté royale, auguste et digne organe,
Le bien du malheureux de ton pouvoir émane,
Et le peuple en ses maux t’invoquant nuit et jour,
Entre le prince et toi partage son amour.
Cependant quelques sots viennent se plaindre encore,
Ils osent avancer que ta dent nous dévore,
Qu’un système nouveau, fatal à nos rentiers,
Alimenta la Seine et garnit les greniers.
Va, va, laisse crier les badauds au scandale ;
Tu peux dîner en paix, c’est John Bull qui régale ;
John Bull est un peu sot, il fait beaucoup de bruit,
Prend des airs mécontens, qu’aucun effet ne suit.
Parfois assez rétif, il se laisse, à vrai dire,
Par le premier faquin trop durement conduire.
Jadis il a montré qu’il était maître aussi,
Mais les temps sont changés ; vieux, il s’est adouci ;
Oui, je l’ai dit souvent, tout s’efface avec l’âge,
Tout jusqu’à la vertu, l’amour et le courage,
Tout change et tout renaît ; c’est un bien fait des cieux ;
Jeune, l’homme triomphe, il dort quand il est vieux.
Mais, grand homme, à quoi tend ce discours inutile ?
Qu’importe que ton nom soit blâmé par la ville,
Qu’importe au denier trois que tes effets soient bas,
Et que John Bull se plaigne ou ne se plaigne pas :
Les empoigneurs sont là, si John Bull n’est pas sage,
S’il siffle un peu trop fort, on referme sa cage ;
À présent, l’on craint peu qu’ennemi du repos,
Il aille renverser tes tranquilles bureaux,
Et brisant à la fois des pouvoirs arbitraires,
Crier : Chassez les huit ! dans tous les ministères :
Le bon temps d’autrefois est là qui le poursuit,
Et son Croquemitaine est arrivé sans bruit ;
Le bon père Escobar, revenu de sa fuite,
Ami des rois français, va régler leur conduite :
Il est vrai que parfois, passant un peu le but,
Sa tendresse pour eux a hâté leur salut ;
Mais il revient enfin : sa main qui te protège
Contre les accidents raffermira ton siège,
Avec lui sans danger tu régneras bientôt,
Il ne faut pour cela que baiser son ergot.

Élégies nationales (1827)

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