Gérard de Nerval

La victoire

                             I.
 
Au sein des vastes mers, un aride rivage,
Contre qui vient mugir la colère des flots,
Se hérisse de rocs, effroi des matelots,...
Du Corse belliqueux c’est le réduit sauvage :
Là naguère le Sort, allumant un flambeau,
Du bord presque ignoré consacra la mémoire ;
C’est là qu’un jour on vit la gloire
Apparaître auprès d’un berceau.
 
C’était un jeune enfant : d’une illustre naissance
Rien à l’entour de lui n’annonçait l’opulence ;
Il sommeillait tranquille, et l’arrêt du Destin
N’avait point déposé dans sa tremblante main
Le facile pouvoir d’un sceptre héréditaire ;
Rien qui d’un roi naissant annonçât la splendeur.
N’environnait sa couche, où veillait une mère...
Rien !... L’avenir tout seul contenait sa grandeur !
 
La déesse, aux regards de la mère étonnée,
Déroula de son fils toute la destinée,
Et parmi des brouillards obscurs,
Lui montra sur d’autres rivages
Des fêtes, des combats, vaporeuses images,
Qui dévoilaient les temps futurs :
Ses avides regards étaient fixés encore,
Quand le divin tableau tout à coup s’évapore ;
Puis un funèbre son retentit à l’entour,...
Elle écoute...; ses yeux se remplissent de larmes ;—
C’était le bruit d’un salut d’armes,
Et le roulement du tambour !
 
                             II.
 
Qu’il fut doux, le premier sourire
De la tardive liberté !
L’homme accueillit avec délire
Sa naissante divinité :
Alors, dans le transport d’une joie unanime,
Aux rayons d’un nouveau soleil,
La France s’éveilla, comme d’un long sommeil :
Ce fut un rêve encore... mais il était sublime !
 
Que ce moment fut beau ! Que du peuple français
L’espérance fut noble et fière !
Qu’il fut prompt à saisir cette pure lumière,
Qui de ses yeux bientôt disparut pour jamais !—
Alors, on vit surgir un plus sombre génie ;
Alors, on entendit tout un peuple en courroux
Crier : Mort à la tyrannie !
Les grands ne semblent grands qu’aux hommes à genoux !
Levons-nous !
 
La carrière des camps s’ouvrit brillante encore ;
Sortant de leur obscurité,
D’héroïques talents s’empressèrent d’éclore
À la voix de la liberté :
Mais, puissante au-dehors, la patrie égarée
Par ses fils au-dedans se sentait déchirée ;
Insigne révéré d’une fausse grandeur,
Un trône à tous les yeux étalait sa splendeur
Mais sous la pourpre impériale
Des chaînes à ses mains imprimaient leur affront,
Et la couronne triomphale
Cachait les maux sanglants qui dévoraient son front.
 
La licence usurpa la place
De la divine liberté ;
Émerveillés de sa beauté,
Les hommes marchaient sur sa trace...
Mais ses sourires séducteurs
Cachaient des pièges homicides,
Et ses embrassements perfides
Étouffaient ses adorateurs !
 
                             III.
 
Un régime nouveau, favorable à la France,
À ses fils désolés ramena l’espérance,
Sans ramener la liberté :
Cependant d’un tyran la tête abominable
Teignit aussi de sang l’échafaud redoutable,
Que ses proscriptions avaient alimenté !
 
À peine revenu de ces horreurs profondes,
Le vaisseau de l’état voguait au gré des ondes,
Et, privé de pilote, abaissant son orgueil,
Flottait de gouffre en gouffre et d’écueil en écueil.
Un grand homme paraît : il commande à l’orage,
Des passagers surpris ranime le courage,
Et tous ceux qu’il arrache aux destins irrités,
Pour prix de leur salut, cèdent leurs libertés.
 
Brisant ces libertés, qui n’étaient plus qu’un rêve,
Sur le sceptre conquis il dépose son glaive ;
La France à lui s’enchaîne, et grandit sous sa loi ;
 
Ainsi jadis, aux bords du Tibre,
Il fallait des Brutus avec le peuple libre,
Il fallut un César avec le peuple-roi.
 
Mais César se croit Dieu, car il voit qu’on l’adore ;
Au point le plus sublime, il est trop bas encore ;
Il se trouve a l’étroit dans ses vastes états.
Et, pour laisser régner sa grandeur solitaire,
Il voudrait étreindre la terre,...
Dût-elle éclater dans ses bras.
 
Pour parvenir au but où son orgueil aspire,
Pour couvrir l’attentat fait à la liberté ;
Sur une autre divinité
Il concentre l’amour des Français en délire :
Aux sons du clairon belliqueux,
Ils accoudent sous ses bannières ;
Partout ils vont audacieux
Briguer ses faveurs meurtrières :
Car pour prix d’un noble trépas
Elle leur offre de la gloire.
C’est Bellone ! c’est la Victoire ;
C’est la déesse des combats !
 
                             IV.
 
La voyez-vous sans cesse, animant leurs cohortes,
Avec ses ailes d’or, sur leurs pas s’élancer,
Des cités leur ouvrir les portes,
Et, comme la terreur, souvent les devancer ;
À leurs regards charmés, oh ! qu’elle est douce et belle !
Elle a des prix pour leurs exploits ;
La flamme en ses yeux étincelle,
Et ses yeux dévorent les rois !
 
Napoléon, dont le courage
Sut la fixer à ses drapeaux,
Victorieux sur un rivage,
Vole à des rivages nouveaux ;
Image du dieu de la guerre,
Sa force et son ardeur grandissent sous les yeux ;
Il marche, et tout s’enfuit : son pied frappe la terre
Qui vomit des guerriers sous ses pas belliqueux ;
C’est son œil qui lance la foudre,
Son bras qui fait briller l’acier,
Et son aigle arrache à la poudre
Le rameau sanglant du laurier !
 
Oh ! qui pourra chanter ses conquêtes rapides ?
Qui pourra consacrer des accords assez beaux
À ses actions intrépides,
À ses exploits toujours nouveaux ?—
Où sont ces ennemis, qui, vainqueurs en idée,
Se partageaient la France en espoir dégradée...
Demandez-en les noms à la nuit des tombeaux !
 
                             V.
 
Les Alpes... ne sont plus ! L’Italie... est vaincue !
Le Brennus colossal est dans Rome abattue !
La balance d’airain, qu’un glaive a fait baisser,
Reçoit l’or, qu’en son sein versent des mains dociles,
Car elle n’a plus de Camilles
Assez forts pour la renverser.
 
L’Egypte ! c’est l’Egypte !—Et des bras intrépides
Ont conquis ces climats brûlants,
Et le sang des fiers Musulmans,
Engraisse les sables arides :
De nos soldats vainqueurs les déserts sont peuplés...
Quarante siècles assemblés
Les contemplent des Pyramides !
 
Que dirai-je de plus ?.... Tout a subi nos lois !...
Les discordes partout languissent étouffées ;
Nos guerriers ont bravé les chaleurs et les froids,
Partout ils ont jeté de superbes trophées,
Et l’avenir s’effraie en comptant leurs exploits.
 
                             VI.
 
Comme au soleil couchant cette ville étincelle !
De ses grands monuments que la structure est belle !
L’or fait briller au loin les toits de ses palais...—
C’est Moscou ! c’est Moscou !—France, encore de la gloire !
C’est le plus beau de tes succès !
C’est Moscou ! quelle page attachée à l’histoire !
Que d’immortalité dans ce cri de victoire !

Élégies nationales (1827)

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