François-Marie Robert-Dutertre

Les regrets d’une coquette.

Adieu beauté, parure du jeune âge,
Bientôt l’hiver va neiger sur mon front ;
La main du temps qui ride mon visage,
Chaque matin me réserve un affront :
De noirs cheveux j’ai beau parer ma tête,
Orner mon cou de riches diamants,
J’ai vu ce soir ma dernière conquête
Fuir mon boudoir et fausser ses serments.
 
Soupir d’amour, ô brûlante insomnie
Qui me fais trop expier mes dédains !
Ton vol m’enlève à l’extase infinie,
Mais la raison a ses retours soudains.
J’ai cru longtemps, bravant toute blessure,
Pouvoir narguer le petit dieu malin,
Mais son carquois porte une flèche sûre
Qui vient m’atteindre aux jours de mon déclin.
 
Je lutte en vain comme la fleur d’automne
Qui sent venir les premiers aquilons,
Je n’entends plus qu’un frelon qui bourdonne,
Car tous ont fui mes joyeux papillons.
Voilà le prix qu’aujourd’hui je recueille,
Je n’ai plus droit qu’à de vaines pitiés.
Lys oublié qui tombe feuille à feuille,
Je ne vois plus que mon ombre à mes pieds.
 
Ah ! revenez, sylphes de ma jeunesse,
Amants qu’on vit tomber à mes genoux,
Je vous promets caresse pour caresse,
Pour un regard mon regard le plus doux.
Si je pouvais, moi, la fière coquette,
Moi, qui jamais ne connus de vainqueur,
Si je pouvais retarder ma retraite,
J’en fais serment, je donnerais mon cœur.
 
Allons, je veux que rien ne me surpasse
En me mêlant aux joyeux tourbillons.
Ne puis-je pas, en valsant avec grâce,
Lancer encore l’œillade aux doux rayons ?
Un amour vrai peut rajeunir mes charmes,
La Pompadour, même après quarante ans,
Plus belle encore, fit verser bien des larmes.
Parfois l’automne est plus beau qu’un printemps.
 
Mais vain espoir de mon âme abusée !
Art imposteur d’inutiles atours !
Qui me rendra cette taille élancée,
Ce galbe pur de mes premiers contours ?
Qui donc rendra l’éclat à ma prunelle,
L’humide émail ornant mes blanches dents,
Mes beaux bras nus et mes pieds de gazelle,
Et mes langueurs et mes rêves ardents ?
 
N’essayez pas, oh ! croyez-moi, fillettes,
Troupe jolie, à l’aube de vos jours ;
N’essayez pas d’imiter les coquettes
Voguant trop tard sur la mer des amours.
Au cap fatal, cap de la quarantaine,
Près d’un écueil vous guette un dieu moqueur,
«—Ici, dit-il, Vénus perd son domaine,
Il faut à temps savoir donner son cœur. »

Les loisirs lyriques (1866)

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