François-Marie Robert-Dutertre

Le non possumus.

Pourquoi semer sur notre route
Tant de vains dogmes affligeants ?
L’amour s’enfuit sans qu’on s’en doute,
Lorsqu’il voit venir les vieux ans.
On chante une fois la romance
Qui fait battre deux cœurs émus ;
Mais si femme dit : Recommence,
On lui répond : Non possumus.
 
Chacun voudrait imiter Rome ;
Imiter c’est le goût nouveau.
Bien qu’on ne Soit qu’un petit homme,
On se croit grand dans son cerveau.
Tout princillon en sa bicoque
Voulant trancher du dieu Janus,
Au Congrès lorsqu’on le convoque,
Vous répond un : Non possumus.
 
Un jour si nous étions ministre,
Quand des gens à piteuse voix,
A figure plate et sinistre,
Viendraient nous demander la croix,
Reconnaissant vite la race
Des Philistins aux doux agnus
Nous leurs dirions, troupe vorace,
Passe, passe : Non possumus.
 
Les uns, jusqu’aux exploits épiques,
Montent leur lyre avec fracas ;
D’autres, en rimes pindariques,
Vont brodant un gai canevas ;
Mais tel colosse aux pieds d’argile
Vaut moins qu’un chantre de Momus
Demandez un autre Virgile,
Le siècle dit : Non possumus.
 
Il est un être à privilège
Né coiffé d’un gros sac d’écus ;
Il a plus d’esprit qu’un collège,
Plus de chance que les C.... bossus.
N’eût-il rien qu’un bras dans sa veste,
Qu’un seul œil et le nez camus,
A monsieur Lingot, d’un ton leste,
On ne dit pas : Non possumus.
 
Lorsque prêt à franchir la passe
De ce monde à l’éternité,
Un vieux pécheur que la mort glace,
Change les droits d’hérédité ;
Aux prélats, si dans son délire
Il achète trop d’orémus,
On voudrait leur entendre dire
Plus souvent le Non possumus.
 
Mais j’entends siffler la tempête,
Le sol est jonché de débris.
Quel palais, de la base au faite,
Éparpille ainsi ses lambris !
A son tour, froid, inexorable,
En la ville de Romulus,
D’une voix qui tonne implacable.
Le destin dit : Non possumus.

Les loisirs lyriques (1866)

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