François-Marie Robert-Dutertre

La belle orgueilleuse.

Chacun de vos attraits vaut une sérénade ;
Votre bouche semble être une rouge grenade,
Où quiconque vous voit, voudrait pouvoir poser
Avec un mot d’amour un doux et chaud baiser.
 
Vos yeux brillants et purs, feu sacré de vestale,
Sont deux miroirs charmants où le ciel bleu s’étale.
Divine est votre gorge, élastique oreiller,
Où l’amour las et calme aimerait sommeiller.
 
Vos tresses sur le cou, du goût coquet manège,
Ont l’air de noirs serpents couchés sur de la neige,
Et le désir qui rêve à mille autres trésors,
Fait voler après vous des essaims d’Almanzors.
 
Telle au milieu de l’onde apparaît la Sirène,
Telle on voit onduler votre taille de reine,
Lorsqu’en tout point pareille aux trois Grâces, vos sœurs,
Vous semblez vous bercer dans le flot des danseurs.
 
Vous eussiez été fée au pays des chimères.
Mais tous ces dons hélas ! comme ils sont éphémères !
Quand huit lustres encore sur vous auront passé,
Quel charme aurez-vous en qui ne soit effacé.
 
Un rictus édenté sous des lèvres pâlies,
Fera rire à leur tour d’autres femmes jolies ;
Vos yeux ternes seront comme un foyer éteint,
Et de bistre le temps aura peint votre teint.
 
Sur le front cheveux gris comme du givre aux branches.
Plus de fermes rondeurs et plus de formes blanches.
Vos contours affaissés tournant au parchemin,
Ne sauront plus frémir au contact de la main.
 
Et votre pied ira traînant une pantoufle ;
Et de votre poitrine ayant à peine un souffle,
Il ne sortira plus, comme dans vos beaux jours,
Un doux timbre argentin qui tant charmait toujours.
 
Le temps est bon marcheur et son pas sûr et presto
Posera son empreinte ainsi sur tout le reste ;
Et frimaire voilant le ciel de floréal.
Ne vous laissera pas même un rêve idéal.
 
Quelle leçon tirer de cet ordre logique
Du drame de la vie au dénouement tragique ?
—Pour mâter tout orgueil, pensez au temps des pleurs
Comme on songe à l’hiver même aux doux mois des fleurs.

Les loisirs lyriques (1866)

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