François Coppée

À un lilas.

Je vois fleurir, assis à ma fenêtre,
L’humble lilas de mon petit jardin,
Et son subtil arome qui pénètre
Vient jusqu’à moi dans le vent du matin.
 
Mais je suis plein d’une colère injuste,
Car ma maîtresse a cessé de m’aimer,
Et je reproche à l’innocent arbuste
D’épanouir ses fleurs et d’embaumer.
 
Tout enivré de soleil et de brise,
Ce favori radieux du printemps,
Pourquoi fait-il à mon cœur qui se brise
Monter ainsi ses parfums insultants ?
 
Ne sait-il pas que j’ai cueilli pour elle
Les seuls rameaux dont il soit éclairci ?
Est-ce pour lui chose si naturelle
Qu’en plein avril elle me laisse ainsi ?
 
–Mais non, j’ai tort, car j’aime ma souffrance.
A nos amours jadis tu te mêlas ;
Au jardin vert, couleur de l’espérance,
Fleuris longtemps, frêle et charmant lilas !
 
Les doux matins qu’embaume ton haleine,
Les clairs matins du printemps sont si courts !
Laisse-moi croire, encore une semaine,
Qu’on ne m’a pas délaissé pour toujours.
 
Et si, malgré mes espoirs pleins d’alarmes,
Je ne dois plus avoir la volupté
De reposer mes yeux brûlés de larmes
Sur la fraîcheur de sa robe d’été ;
 
Si je ne dois plus revoir l’infidèle,
J’y penserai, tant que tu voudras bien,
Devant ces fleurs qui me virent près d’elle,
Dans ce parfum qui rappelle le sien.

Le cahier rouge (1892)

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