Félix Arvers

La vengeance

Quand j’entrai dans la vie, au sortir de l’enfance,
A cet âge innocent où l’homme sans défense,
Inquiet, sans appui, cherche un guide indulgent,
Et, demandant au ciel un ami qui l’entende.
Sent qu’il a si besoin d’une main qu’on lui tende
         Et d’un regard encourageant ;
 
Toi seule, armant ta voix d’une affreuse ironie,
As fait sur un enfant peser ta tyrannie :
A tes rires amers que tu m’as immolé !
Par un plaisir cruel prolongeant ma souffrance,
Ta bouche comme un crime a puni l’ignorance
         Et tes dédains m’ont accablé.
 
Sais-tu que se venger est bien doux ? Mon courage
A supporté l’affront et dévoré l’outrage :
Comme une ombre importune attachée à tes pas
J’ai su te fatiguer par ma fausse tendresse,
J’ai su tromper ton cœur, j’ai su feindre l’ivresse
         D’un amour que je n’avais pas.
 
Te souviens-tu d’abord comme ta résistance
Par de cruels mépris éprouva ma constance.
Mais je pleurai, je crois, je parlai de mourir...
Et puis, on ne peut pas toujours être rebelle ;
A s’entendre sans fin répéter qu’on est belle,
         Il faut pourtant bien s’attendrir.
 
Grâce au ciel ! ma victoire est enfin assurée ;
Au mépris d’un époux et de la foi jurée.
Enfin, tu t’es livrée à moi, tu m’appartiens !
J’ai senti dans ma main frémir ta main tremblante
Et mes baisers errants sur ta bouche brûlante
         Se sont mêlés avec les tiens !
 
Et bien ! sache à présent, et que ton cœur se brise.
Sache que je te hais et que je te méprise,
Sache bien que jamais je ne voulus t’avoir
Que pour pouvoir un jour en face te maudire.
Rire de tes tourments, à mon tour, et te dire
         Tout ce que je souffre à te voir !
 
As-tu donc pu jamais, malheureuse insensée,
Croire que ton image occupait ma pensée ?
Connais-moi maintenant et comprends désormais
Quelle horreur me poussait, quelle rage m’enflamme,
Et ce qu’il m’a fallu de haine au fond de l’âme
         Pour te dire que je t’aimais ?
 
J’ai donc bien réussi, je t’ai donc bien frappée ;
Par un adolescent ta vanité trompée
A pu croire aux serments que ma voix te jurait !
Malgré cet œil perçant, malgré ce long usage,
Tu n’as donc jamais rien trouvé sur mon visage
         Qui trahît cet affreux secret ?
 
Je te lègue en fuyant, une honte éternelle.
Je veux que le remords, active sentinelle.
S’attache à sa victime, et veille à tes côtés,
Qu’il expie à la fois mes chagrins, mes injures
Et cette horrible gêne et ces mille parjures
         Que la vengeance m’a coûtés.
 
C’est bien. Je suis content : j’ai passé mon envie ;
D’un souvenir amer j’empoisonne ta vie.
Va-t’en ! pour me fléchir ces cris sont superflus.
Va-t’en ! pleure à jamais ta honte et ta faiblesse
Et songe bien au moins que c’est moi qui te laisse
         Et que c’est moi qui ne veux plus !

Pièces inédites (1851)

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