Félix Arvers

Bury

                               I
 
Lorsque le jeune Edgard, après bien des années,
Au seuil de son château s’en vint heurter un soir,
Traversa lentement les cours abandonnées,
Et près du vieux foyer voulut enfin s’asseoir,
 
Il vit avec douleur au manoir de ses pères
Les créneaux sans soldats et les murs délabrés,
Et sentit en marchant se dresser les vipères
Que cachait sous ses pas la ronce des degrés.
 
Quoique le vieux Caleb, honteux de sa détresse,
La cachât de son mieux ; comme en un soir d’été,
Surprise au bord des eaux, la jeune chasseresse
Aux regards du passant voile sa nudité ;
 
Edgard vit bien au front de ces tours inclinées
Ce sillon que le temps avait fait si profond,
Et sentit d’un seul coup tout le poids des années
Retomber sur son cœur et bondir jusqu’au fond.
 
Pourtant c’était la loi. Dieu veut que sur sa trace,
Sans pitié ni remords, comme un vieux meurtrier,
Le temps entraîne tout : le peuple après la race,
L’arbuste après la fleur, l’œuvre après l’ouvrier.
 
                               II
 
Mais moi, qu’ai-je éprouvé, lorsque sous votre ombrage,
Après quatre ans passés, retraites de Bury,
Ainsi qu’un voyageur surpris par un orage.
Je vins, triste déjà, demander un abri ?
 
Enfans, durant l’hiver, pour égayer nos veilles,
On nous a tous conté que, dans cet heureux temps
Que Perrault a peuplé de naïves merveilles,
Une belle princesse avait dormi cent ans ;
 
Et lorsque la vertu de quelque anneau magique
Eut enfin secoué cet étrange sommeil,
Après ce siècle entier d’un repos léthargique,
Elle sortit du bois jeune et le teint vermeil ;
 
Oh ! moi j’ai cru renaître à ces jours de féerie,
Comme elle, à son réveil, voyant à mon retour
La demeure aussi neuve et l’herbe aussi fleurie,
Et l’ombrage aussi frais des arbres d’alentour.
 
Le Temps, ce vieux faucheur, qui renverse et qui passe.
Semblait avoir pour moi fixé ses pas errans.
Comme si dans ce coin oublié de l’espace
Quelque autre Josué l’eût arrêté quatre ans.
 
Les hôtes qui jadis accueillaient mon Jeune âge,
Paraissaient réunis pour attendre au festin
Le retour d’un enfant qui, pour le voisinage.
Voulant voir ses amis, est parti le matin.
 
Ils avaient parcouru cette vie escarpée
Exempts des noirs chagrins si prompts à l’assaillir.
Et, dans sa voie étroite et de ravins coupée,
Marché sans se lasser, et vécu sans vieillir.

Mes heures perdues (1833)

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