Charles Le Goffic

Les trois matelots de Groix.

C’étaient trois matelots de Groix.
Ils étaient partis tous les trois
         Pêcher la sole :
Les pauvres garçons n’avaient pas
Plus de sextant que de compas
         Et de boussole.
 
—Ah ! disait l’un, voici l’hiver !
Les hirondelles ont ouvert
         Leurs ailes souples,
Et bientôt, dans le ciel changeant,
On verra les pluviers d’argent
         Filer par couples.
 
—L’hiver ! dit l’autre, hélas à nous !
Si je vous montrais mes genoux,
         C’est une plaie.
Mon pauvre corps est tout perclus,
Et du coup je ne pourrai plus
         Tenir la baie.
 
Et le troisième repartit :
—Notre navire est bien petit,
         Ô bonne Vierge,
Mais à votre église d’Auray,
Sitôt débarqué, je ferai
         Cadeau d’un cierge.
 
Ainsi causaient parmi les flots,
Debout au vent, les matelots,
         Quand une lame
Emporta le premier des trois.
Il fit le signe de la croix
         Et rendit l’âme.
 
L’autre, en tombant du haut du mât,
Fut, avant qu’il se ranimât,
         Happé dans l’ombre
Par un poulpe aux yeux de velours,
Qui tendait au ras des flots lourds
         Ses bras sans nombre.
 
Il a suffi d’un humble ave
Pour que le cadet fût sauvé
         Du flot barbare,
Et ce matin les bons courants
L’ont ramené chez ses parents
         Dans sa gabare.

Le bois dormant (1900)

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