Charles Guérin

Une flûte au son pur

Une flûte au son pur, je ne sais où, soupire.
C’est dimanche. La ville est paisible, il fait bleu ;
Et l’âme à qui l’azur semble toujours suffire
Bénit le soir tombant et la bonté de Dieu.
 
Pourtant cet air qui pleure au fond du crépuscule,
Là-bas, chez des voisins, ce dimanche d’été,
Cet aveu sans espoir qu’une flûte module,
A l’entendre, mon cœur se fond de volupté.
 
J’imagine une main de femme, longue et pâle,
Dont les doigts inégaux promenés sur le buis
Font tendrement canter la peine qu’il exhale.
J’imagine des yeux pensifs, au ciel enfuis ;
 
Et, songeant à ce cœur qui dit sa solitude
Sous les berceaux ombreux d’un jardin d’alentour,
Dans le mur qui se dresse entre nous, sombre et rude,
M’apparaît le destin ennemi de l’amour.

Le semeur de cendres (1901)

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