Charles Guérin

Le soir léger avec sa brume claire

Le soir léger, avec sa brume claire et bleue,
Meurt comme un mot d’amour aux lèvres de l’été,
Comme l’humide et chaud sourire heureux des veuves
Qui rêvent dans leur chair d’anciennes voluptés.
 
La ville, pacifique et lointaine, s’est tue.
Dans le jardin pensif où descend le repos
Frissonne avec un frais murmure un épi d’eau
Dont la tige se rompt parfois au vent nocturne.
 
Des jupes font un bruit de feuilles sur le sable.
Des couples amoureux se parlent à voix basse ;
Les roses que leurs doigts songeurs ont effeuillées
Répandent une odeur enivrante de miel.
 
Un pâle jour occupe encore le bas du ciel
Et mêle, charme étrange et confidentiel,
De la lumière en fuite à de l’ombre étoilée.
Que me font les soleils à venir, que me font
 
L’amour et l’or et la jeunesse et le génie !...
Laissez-moi m’endormir d’un doux sommeil, d’un long
Sommeil, avec des mains de femme sur mon front :
Ah ! fermez la fenêtre ouverte sur la vie !

Le cœur solitaire (1896)

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