Casimir Delavigne

La Bataille de Waterloo

Ils ne sont plus, laissez en paix leur cendre ;
Par d’injustes clameurs ces braves outragés
À se justifier n’ont pas voulu descendre ;
Mais un seul jour les a vengés :
Ils sont tous morts pour vous défendre.
 
Malheur à vous si vos yeux inhumains
N’ont point de pleurs pour la patrie !
Sans force contre vos chagrins,
Contre le mal commun votre âme est aguerrie ;
Tremblez, la mort peut-être étend sur vous ses mains !
 
Que dis-je ? Quel français n’a répandu des larmes
Sur nos défenseurs expirans ?
Prêt à revoir les rois qu’il regretta vingt ans,
Quel vieillard n’a rougi du malheur de nos armes ?
 
En pleurant ces guerriers par le destin trahis,
Quel vieillard n’a senti s’éveiller dans son ame
Quelque reste assoupi de cette antique flamme
Qui l’embrasait pour son pays ?
 
Que de leçons, grand dieu ! Que d’horribles images
L’histoire d’un seul jour présente aux yeux des rois !
Clio, sans que la plume échappe de ses doigts,
Pourra-t-elle en tracer les pages ?
 
Cachez-moi ces soldats sous le nombre accablés,
Domptés par la fatigue, écrasés par la foudre,
Ces membres palpitans dispersés sur la poudre,
Ces cadavres amoncelés !
 
Eloignez de mes yeux ce monument funeste
De la fureur des nations ;
Ô mort ! Epargne ce qui reste !
Varus, rends-nous nos légions !
 
Les coursiers frappés d’épouvante,
Les chefs et les soldats épars,
Nos aigles et nos étendards
Souillés d’une fange sanglante,
Insultés par les léopards,
Les blessés mourant sur les chars,
Tout se presse sans ordre, et la foule incertaine,
Qui se tourmente en vains efforts,
S’agite, se heurte, se traîne,
Et laisse après soi dans la plaine
Du sang, des débris et des morts.
 
Parmi des tourbillons de flamme et de fumée,
Ô douleur, quel spectacle à mes yeux vient s’offrir ?
Le bataillon sacré, seul devant une armée,
S’arrête pour mourir.
C’est en vain que, surpris d’une vertu si rare,
Les vainqueurs dans leurs mains retiennent le trépas.
Fier de le conquérir, il court, il s’en empare ;
La garde, avait-il dit, meurt et ne se rend pas.
 
On dit qu’en les voyant couchés sur la poussière,
D’un respect douloureux frappé par tant d’exploits,
L’ennemi, l’oeil fixé sur leur face guerrière,
Les regarda sans peur pour la première fois.
 
Les voilà ces héros si long-temps invincibles !
Ils menacent encor les vainqueurs étonnés !
Glacés par le trépas, que leurs yeux sont terribles !
Que de hauts faits écrits sur leurs fronts sillonnés !
Ils ont bravé les feux du soleil d’Italie,
De la castille ils ont franchi les monts ;
Et le nord les a vus marcher sur les glaçons
Dont l’éternel rempart protége la Russie.
Ils avaient tout dompté... Le destin des combats
Leur devait, après tant de gloire,
Ce qu’aux français naguère il ne refusait pas ;
Le bonheur de mourir dans un jour de victoire.
 
Ah ! Ne les pleurons pas ! Sur leurs fronts triomphans
La palme de l’honneur n’a pas été flétrie ;
Pleurons sur nous, français, pleurons sur la patrie ;
L’orgueil et l’intérêt divisent ses enfans.
Quel siècle en trahisons fut jamais plus fertile ?
L’amour du bien commun de tous les coeurs s’exile ;
La timide amitié n’a plus d’épanchemens ;
On s’évite, on se craint ; la foi n’a plus d’asile,
Et s’enfuit d’épouvante au bruit de nos sermens.
 
O vertige fatal ! Déplorables querelles
Qui livrent nos foyers au fer de l’étranger !
Le glaive étincelant dans nos mains infidèles,
Ensanglante le sein qu’il devrait protéger.
 
L’ennemi cependant renverse les murailles
De nos forts et de nos cités ;
La foudre tonne encore, au mépris des traités.
L’incendie et les funérailles
Épouvantent encor nos hameaux dévastés ;
D’avides proconsuls dévorent nos provinces ;
Et, sous l’écharpe blanche, ou sous les trois couleurs,
Les français, disputant pour le choix de leurs princes,
Détrônent des drapeaux et proscrivent des fleurs.
 
Des soldats de la Germanie
J’ai vu les coursiers vagabonds
Dans nos jardins pompeux errer sur les gazons,
Parmi ces demi-dieux qu’enfanta le génie.
J’ai vu des bataillons, des tentes et des chars,
Et l’appareil d’un camp dans le temple des arts.
Faut-il, muets témoins, dévorer tant d’outrages ?
Faut-il que le français, l’olivier dans la main,
Reste insensible et froid comme ces dieux d’airain
Dont ils insultent les images ?
 
Nous devons tous nos maux à ces divisions
Que nourrit notre intolérance.
Il est temps d’immoler au bonheur de la France
Cet orgueil ombrageux de nos opinions.
Etouffons le flambeau des guerres intestines.
Soldats, le ciel prononce, il relève les lis ;
Adoptez les couleurs du héros de Bovines,
En donnant une larme aux drapeaux d’Austerlitz.
 
France, réveille-toi ! Qu’un courroux unanime
Enfante des guerriers autour du souverain !
Divisés, désarmés, le vainqueur nous opprime ;
Présentons-lui la paix, les armes à la main.
 
Et vous, peuples si fiers du trépas de nos braves,
Vous, les témoins de notre deuil,
Ne croyez pas, dans votre orgueil,
Que, pour être vaincus, les français soient esclaves.
Gardez-vous d’irriter nos vengeurs à venir ;
Peut-être que le ciel, lassé de nous punir,
Seconderait notre courage ;
Et qu’un autre Germanicus
Irait demander compte aux Germains d’un autre âge
De la défaite de Varus.

Les Messéniennes, Livre I (1835)

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