Casimir Delavigne

Les Funérailles du général Foy

À la France

Rome, villa Paolina.
 
Non, tu ne connais pas encor
Ce sentiment d’ivresse et de mélancolie
Qu’inspire d’un beau jour la splendeur affaiblie.
Toi qui n’as pas vu les flots d’or,
Où nage à son couchant un soleil d’Italie,
Inonder du Forum l’enceinte ensevelie
Et le temple détruit de Jupiter Stator !
 
Non, tu ne connais pas l’irrésistible empire
Des beautés qu’il déploie au moment qu’il expire,
Si tes yeux n’ont pas vu son déclin vif et pur,
Qui s’éteint par degrés sur Albane et Tibur,
Verser les derniers feux d’une ardeur épuisée
A travers le brillant azur
Des portiques du Colisée !
 
Sur le mont Janicule et ses pins toujours verts,
Tu meurs, mais dans ta gloire ; on t’admire, on te chante ;
Tu meurs, divin soleil, au milieu des concerts
De cette Rome plus touchante
Qui pleure ta clarté ravie à ses déserts.
 
Du trône tu descends comme elle ;
Jadis ses monuments t’égalaient en splendeur :
D’une reine déchue amant toujours fidèle,
Que ta lumière est triste et belle
Sur les débris de sa grandeur !
Tes rayons amortis, que le regard supporte,
Palissent en les éclairant,
Soleil, et ton éclat mourant
S’unit mieux à leur beauté morte.
 
Ainsi l’on voit s’éteindre, environné d’hommages,
Le talent inspiré, qui, pur et sans nuages,
N’a brillé que par la vertu.
Ainsi nous l’admirons, ainsi nos larmes coulent,
Au milieu des débris de nos lois qui s’écroulent
Comme un monument abattu ;
Et l’éclat plus sacré de ce flambeau qui tombe
Répand les derniers feux dont il est embrasé
Sur le temple détruit et sur l’autel brisé
De la Liberté qui succombe.
 
Dans sa splendeur enseveli,
Glorieux et pleuré par la reconnaissance,
Ainsi mourut celui qui vengea notre France.
Ces traits éloquents ont pâli
Qui de l’âme élancés pénétraient jusqu’à l’âme ;
Il s’est ouvert ce cœur, il vient de se briser,
Trop plein pour contenir la généreuse flamme
Qu’il répandait sans l’épuiser.
 
La patrie, à l’aspect d’une cendre si chère,
A senti s’émouvoir ses entrailles de mère.
Ah ! qu’elle pleure, elle a droit de pleurer :
Pour la défendre encore il déposa ses armes.
Elle s’honore en voulant l’honorer.
A le nommer son fils qu’elle trouve de charmes !
Fière de sa douleur, plus belle de son deuil,
A qui voudra les voir qu ! elle montre ses larmes :
Car il est des enfants qu’on pleure avec orgueil.
 
Rome, tes yeux sont morts à ces larmes sacrées
Dont on fait gloire en les versant ;
Les cendres de tes fils ne sont plus honorées
Par ce tribut reconnaissant.
En vain leurs nobles cœurs battaient pour la patrie.
Dans ton abaissement en vain ils t’ont chérie ;
Ces murs, dont Michel-Ange a jeté dans les cieux
Le dôme audacieux,
Réservent leurs honneurs à la puissance morte :
Pour elle des concerts, des fleurs et des flambeaux.
Et des bronzes menteurs penchés sur des tombeaux ;
Mais pour la vertu, que t’importe ?
 
Ainsi, courbé sous l’or du sceptre pastoral,
Ton peuple grave et fier, que ce mépris offense,
Laisse tomber son bras levé pour ta défense.
Il fléchit sous des rois, lui qui n’eut point d’égal
Quand la gloire était ton idole ;
Et l’herbe a désuni le pavé triomphal
Qui conduisait au Capitole.
 
En passant sur la terre où dorment tes héros,
Par les mugissements de sa voix importune
Le bœuf pesant d’Ostie insulte à leur repos,
Ou, symbole vivant de ta triste fortune,
Endormi sous le joug du char qu’il a traîné,
Courbe sa corne noire et son front enchaîné
A la place où fut la tribune.
 
Et c’est là qu’autrefois les publiques douleurs
Paraient l’urne des morts de gazons et de fleurs !
Vous le savez, race guerrière,
O vous ossements oubliés,
Muets débris, noble poussière,
Que je sens tressaillir sous les touffes de lierre
De ces tombeaux qu’on foule aux pieds !
Vous le savez, vous tous qui, pour vos-funérailles,
Avez vu Rome en deuil sortir de ses murailles !
Ah ! s’il a pu cesser, ce culte glorieux
Qu’on rendait au courage, à la sainte éloquence,
Levez-vous, il renaît ; Romains, ouvrez les yeux,
Ne regardez pas Rome, et regardez la France.
 
Il fut orateur et guerrier,
Celui que la France attendrie »
Couronne d’un double laurier !
Entendez-vous ces mots : « Valeur, Talent, Patrie ? »
Entendez-vous ce cri d’une éloquente voix :
« Ses enfants sont ceux de la France ! »
Ce cri, qui d’un seul cœur s’élance,
Semble de tous les cœurs s’élever à la fois...
Orateurs, répondez : jamais plus digne hommage
Honora-t-il un père en sa postérité,
Et jamais votre pauvreté
Laissa-t-elle à vos fils un plus riche héritage ?
 
Et vous aussi, guerriers, levez-vous : contemplez
De nos vieux étendards les vengeurs mutilés !
Ces Romains qui suivaient vos pompes funéraires
Par des exploits plus grands s’étaient-ils signalés
Autour des faisceaux consulaires ?
Les travaux, les hivers et l’ardeur des étés
Avaient-ils sur leur, front mieux gravé leurs services,
Et leurs pleurs en coulant se sont-ils arrêtés
Dans de plus nobles cicatrices ?
 
Non, guerriers, non, jamais, mânes victorieux,
Jamais, fiers défenseurs des libertés publiques,
Rome ne se couvrit, pour vos vertus antiques,
D’un deuil plus unanime et plus religieux.
Non, non, sur vos tombeaux, Rome, la vieille Rome,
N’offrit pas dans sa gloire un spectacle plus grand
Que ce concours sacré d’un peuple entier pleurant,
Pleurant la perte d’un seul homme !
 
Reçois, ô mon pays, ce tribut mérité !
France, de quel orgueil mon cœur a palpité
En l’adressant ces vers sous les ombrages sombres
Qui couronnent le Célius,
Au pied du Palatin, devant les grandes ombres
Des Camille et des Tullius !
 
Et toi, qu’on vent flétrir, jeunesse ardente et pure,
De guerriers, d’orateurs, toi, généreux essaim,
Qui sens fermenter dans ton sein
Les germes dévorants de ta gloire future,
Penché sur le cercueil que tes bras ont porté,
De ta reconnaissance offre l’exemple au monde :
Honorer la vertu, c’est la rendre féconde,
Et la vertu produit la liberté.
 
Prépare son triomphe en lui restant fidèle.
Des préjugés vieillis les autels sont usés ;
Il faut un nouveau culte à cette ardeur nouvelle
Dont les esprits sont embrasés.
Vainement contre lui l’ignorance conspire.
Que celle liberté qui règne par les lois
Soit, la religion des peuples et des rois.
Pour la mieux consacrer on devait la proscrire ;
Sa palme, qui renaît, croît sous les coups mortels ;
Elle eut son fanatisme, elle touche au martyre,
Un jour elle aura ses autels.
 
Le verrai-je, ce jour, où sans intolérance
Son culte relevé protégera la France ?
O champs de Pressagni, fleuve heureux, doux coteaux,
Alors, peut-être, alors mon humble sépulture
Se cachera sous les rameaux
Où souvent, quand mes pas erraient à l’aventure,
Mes vers inachevés ont mêlé leur murmure
Au bruit de la rame et des eaux.
 
Mais si le Temps m’épargne et si la Mort m’oublie,
Mes mains, mes froides mains par de nouveaux concerts
Sauront la rajeunir, cette lyre vieillie ;
Dans mon cœur épuisé je trouverai des vers,
Des sons dans ma voix affaiblie ;
Et cette liberté, que je chantai toujours,
Redemandant un hymne à ma veine glacée,
Aura ma dernière pensée
Comme elle eut mes premiers amours.

Les Messéniennes

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