A
Pierre
Mabille
Je ne suis pas pour les adeptes
Je n’ai jamais habité au lieu dit
La
Grenouillère
La lampe de mon cœur file et bientôt hoqueté à l’approche des parvis
Je n’ai jamais été porté que vers ce qui ne se tenait
pas à carreau
Un arbre élu par l’orage
Le bateau de lueurs ramené par un mousse
L’édifice au seul regard sans clignement du lézard
et mille frondaisons
Je n’ai vu à l’exclusion des autres que des femmes qui avaient maille à partir avec leur temps
Ou bien elles montaient vers moi soulevées par les vapeurs d’un abîme
Ou encore absentes il y a moins d’une seconde elles me précédaient du pas de la
Joueuse de tympanon
Dans la rue au moindre vent où leurs cheveux portaient la torche
Entre toutes cette reine de
Byzance aux yeux passant
de si loin l’outre-mer
Que je ne me retrouve jamais dans le quartier des
Halles
où elle m’apparut
Sans qu’elle se multiplie à perte de vue dans les glaces
des voitures des marchandes de violettes
Entre toutes l’enfant des cavernes son étreinte prolongeant de toute la vie la nuit esquimau
Quand déjà le petit jour hors d’haleine grave son renne sur la vitre
Entre toutes la religieuse aux lèvres de capucine
Dans le car de
Grozon à
Quimper
Le bruit de ses cils dérange la mésange charbonnière
Et le livre à fermoir va glisser de ses jambes croisées
Entre toutes l’ancienne petite gardienne ailée de la
Porte
Par laquelle les conjectures se faufilent entre les pousse-pousse
Elle me montre alignées des caisses aux inscriptions idéographiques le long de la
Seine
Elle est debout sur l’œuf brisé du lotus contre mon oreille
Entre toutes celle qui me sourit du fond de l’étang de
Berre
Quand d’un pont des
Martigues il lui arrive de suivre
appuyée contre moi la lente procession des lampes
couchées
En robe de bal des méduses qui tournoient dans le lustre
Celle qui feint de ne pas être pour tout dans cette fête
D’ignorer ce que cet accompagnement repris chaque jour dans les deux sens a de votif
Entre toutes
Je reviens à mes loups à mes façons de sentir
Le vrai luxe
C’est que le divan capitonné de satin blanc
Porte l’étoile de la lacération
Il me faut ces gloires du soir frappant de biais votre bois de lauriers
Les coquillages géants des systèmes tout érigés qui se présentent en coupe irrégulière dans la campagne
Avec leurs escaliers de nacre et leurs reflets de vieux verres de lanternes
Ne me retiennent qu’en fonction de la part de vertige
Faite à l’homme qui pour ne rien laisser échapper de la grande rumeur
Parfois est allé jusqu’à briser le pédalier
Je prends mon bien dans les failles du roc là où la mer
Précipite ses globes de chevaux montés de chiens qui
hurlent
Où la conscience n’est plus le pain dans son manteau de
roi
Mais le baiser le seul qui se recharge de sa propre braise
Et même des êtres engagés dans une voie qui n’est pas
la mienne
Qui est à s’y méprendre le contraire de la mienne
Elle s’ensable au départ dans la fable des origines
Mais le vent s’est levé tout à coup les rampes se sont
mises à osciller grandement autour de leur pomme
irisée
Et pour eux c’a été l’univers défenestré
Sans plus prendre garde à ce qui ne devrait jamais finir
Le jour et la nuit échangeant leurs promesses
Ou les amants au défaut du temps retrouvant et perdant
la bague de leur source
O grand mouvement sensible par quoi les autres
parviennent à être les miens
Même ceux-là dans l’éclat de rire de la vie tout encadrés
de bure
Ceux dont le regard fait un accroc rouge dans les
buissons de mûres
M’entraînent m’entraînent où je ne sais pas aller
Les yeux bandés tu brûles tu t’éloignes tu t’éloignes
De quelque manière qu’ils aient frappé leur couvert est
mis chez moi
Mon beau
Pelage couronné de gui ta tête droite sur tous ces fronts courbés
Joachim de
Flore mené par les anges terribles
Qui à certaines heures aujourd’hui rabattent encore
leurs ailes sur les faubourgs
Où les cheminées fusent invitant à une résolution plus
proche dans la tendresse
Que les roses constructions heptagonales de
Giotto
Maître
Eckhardt mon maître dans l’auberge de la raison
Où
Hegel dit à
Novalis
Avec lui nous avons tout ce qu il
nous faut et ils partent
Avec eux et le vent j’ai tout ce qu’il me faut
Jansénius oui je vous attendais prince de la rigueur
Vous devez avoir froid
Le seul qui de son vivant réussit à n’être que son
ombre
Et de sa poussière on vit monter menaçant toute la
ville la fleur du spasme
Paris le diacre
La belle la violée la soumise l’accablante
La
Cadière
Et vous messieurs
Bonjour
Qui en assez grande pompe avez bel et bien crucifié
deux femmes je crois
Vous dont un vieux paysan de
Fareins-en-Dôle
Chez lui entre les portraits de
Marat et de la
Mère
Angélique
Me disait qu’en disparaissant vous avez laissé à ceux
qui sont venus et pourront venir
Des provisions pour longtemps
Salon-Martigues, septembre 1940.