André Breton

Je reviens

Mais enfin où sommes-nous
 
Je lustre de deux doigts le poil de la vitre
 
Un griffon de transparence passe la tête
 
Au travers je ne reconnais pas le quartier
 
Le soir tombe il est clair que nous allons depuis
 
longtemps à l’aventure
Doucement doucement voyons
Et moi je vous dis qu’il y avait une plaque là à gauche
 
Rue quoi
Rue-où-peut-être-donné-le-droit-à-la—bonne—
 
chére
Et dix-sept cents francs au compteur c’est insensé
Qu’attendez-vous pour consulter votre plan nom de
 
Dieu
Mais le chauffeur semble sortir d’un rêve
La tète tournée à droite il lit à haute voix
Rue-des-chères-bonnes-âmes
Eh bien
 
Ça ne lui fait ni chaud ni froid
Bien mieux il parle de reprendre la course
Il a déjà la main sur son drapeau
Où allions-nous j’ai oublié
 
Nous entrons dans un tabac vermoulu
 
Il faut écarter d’épais rideaux de gaze grise
 
Comme les bayahondes d’Haïti
 
Au comptoir une femme nue ailée
 
Verse le sang dans des verres d’éclipsé
 
Les étiquettes des bouteilles portent les mots
Libres
 
Pêcheurs
Gondine on dirait de l’eau-de-vie de
 
Dantzig
Evita de
Martines
Et les boites de cigares flamboient d’images d’échauf–
 
fourées
La merveille au mur est un éventail à soupiraux
Madame sommes-nous encore loin de
Chorhyménée
Mais la belle au buisson ardent se mire dans ses ongles
Des joueurs au fond de la pièce abattent des falaises
 
de vitraux
Nous rebroussons
 
La route est bordée de maisons toutes en construction
Dont pointe le pistil et se déploient en lampe à arc les étamines
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