Alphonse Beauregard

Le blé despotique.

                               I
 
Sur l’immensité noire une lumière brille
Et se dirige à la rencontre du steamer
Qui stoppe avec des bruits de vapeur et de fer.
Dans la nuit un sifflet perce comme une vrille.
 
Attente. Dans un mât s’éteint le signal vert.
La lumière approchant décèle une coquille,
Une barque dansante et qui montre sa quille ;
Elle s’en vient chercher du froment pour l’hiver.
 
La mer fuyante claque ainsi qu’un pas de charge,
Les marins du hameau saisissent leur butin,
Larguent l’amarre, puis vont jeter l’ancre au large.
 
Ils y demeureront jusqu’au flux du matin
Le steamer a repris sa vie ambulatoire
Une lumière meurt sur l’immensité noire.
 
                               II
 
A l’ancre, lourdement, une barque ballotte
Rythmique dans son heurt contre les flots. Le poids
De l’océan troublé sonne comme une voix
Qui du fond de la nuit insondable sanglote.
 
Les trois marins autour du fanal qui tremblote,
Effleurés par le gouffre évocateur d’effroi,
Se laissent pénétrer du néant de leur moi ;
Et, de plus en plus morne, un long silence flotte.
 
L’heure du flux retarde, il semble, méchamment
Et les hommes, que le froid gagne incessamment
Portent vers leur foyer leur pensée engourdie.
 
D’un œil fixe où la haine est près d’étinceler.
Ils regardent les sacs mais n’osent pas parler,
Sentant qu’il faut souffrir pour son droit à la vie.
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