Alphonse Beauregard

La sacrifiée.

Le passé me disait : Laisse là cette femme
Sinon tu connaîtras le dégoût de mentir,
L’abjection de la querelle et du faux drame,
La lutte entre l’esprit et la chair qui réclame,
Et jusqu’aux bas calculs pour la faire souffrir.
 
Ton âme qui pour croître a besoin de pensée
Et cherche, en l’appelant du mot bonheur, son pain,
Ton âme qui respire autour de toi, forcée
De vivre en cet infect marécage enfoncée,
Se gonflera d’un suc violent et malsain.
 
Chasse au loin cet amour, ce qu’il en reste encore,
Qu’importe si l’espoir d’un autre meurt par toi !
L’homme n’a pas pitié du bétail qu’il dévore,
La pensée au seul prix du malheur s’élabore ;
Pour sustenter ton âme, immole, c’est la loi.
 
Je dis alors à mon amie : Adieu, ma chère.
Désormais nous irons un chemin différent ;
Et comme elle ignorait ce qui put me déplaire
Et me voyait toujours fidèle et sans colère
Elle ne comprit pas et s’en alla pleurant.
 
Pendant que sa douleur hantait ma solitude,
Que le désir cloîtré me brûlait de nouveau,
L’acte cruel ayant fouetté mon aptitude,
J’écrivais un poème ardent, sincère et rude,
Et, richement payé de larmes, il fut beau.

Les alternances (1921)

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