Albert Mérat

Les vertiges

J’ai monté sur le roc où l’on peut se tenir
A peine, et j’ai gravi la haute cathédrale,
Et mes yeux s’effaraient de ne voir pas finir
Les espaces où l’air déroule sa spirale :
 
Mon esprit a connu le vertige du ciel,
Et j’ai goûté longtemps des voluptés profondes
A me laisser tomber d’un vol surnaturel
A travers le sublime entassement des mondes.
 
Et l’amour, cet abîme impénétrable et doux,
Ce ciel divin et clair au-dessus de nos âmes,
M’a fait manquer le cœur et trembler les genoux
Pendant que j’écoutais la chère voix des femmes.
 
Sur la flèche à l’élan droit et prodigieux,
Sur le mont dont la pente affreuse n’a pas d’arbre,
J’ai peur : mais pour chasser l’angoisse de mes yeux
C’est assez d’une ronce ou d’une fleur de marbre.
 
Plongeur de la pensée ardente et de l’amour,
Je sens se creuser l’ombre, et l’épouvante obscure
Me prend ; mais il suffit, pour rappeler le jour,
Que l’appui de ta main petite me rassure.

Les tableaux de voyage (1865)

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