Albert Mérat

Dessous de bois

L’ombre bleuâtre et claire au milieu des allées,
Comme un long voile plein de taches étoilées,
Cache à peine la terre et flotte avec douceur ;
Le soleil, en rayant la légère épaisseur,
Forme des réseaux d’or où palpitent mes rêves.
Les frênes aux bourgeons rouges du sang des séves
Frissonnent. Les bouleaux, à leur feuillage blanc
Prenant la brise, en font un murmure tremblant
Que le buisson répète au brin d’herbe qui rampe.
Comme des doigts levés au devant d’une lampe,
Les rameaux délicats au devant du soleil
Laissent filtrer l’éclat du jour tendre et vermeil.
L’air lascif est chargé de poussières errantes.
Les pommiers, bouquets blancs d’étoiles odorantes,
Que le printemps attache à son corsage vert,
A travers l’éclaircie ardente du couvert,
Derrière les troncs fins et les branches mal closes,
Luisent, dans les vergers, auprès des maisons roses.
Calmes, faisant un fond délicat au tableau,
Transparaissent plus loin le ciel, la terre, l’eau :
Car le fleuve déroule au pied des bois tranquilles
Ses anneaux lumineux et longs entre les îles,
Et semble, au dernier plan, un mince serpent d’or.
Une vapeur de nacre, où blanchissent encor
Les fleurs peintes d’hier, presque déjà séchées,
Qu’avril de ses pinceaux riants avait touchées,
Semble continuer la pente du chemin ;
Et, d’une lieue, on croit toucher avec la main,
Modelant l’horizon sur les collines blondes,
Le velours ondoyant des verdures profondes.

Le Parnasse contemporain, II (1869-1871)

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