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Aimé Césaire

Ethiopie

à
Alioune
Diop
 
et je vis ce conte byzantin
 
publié par les pluies
 
sur les fortes épaules de la montagne
 
dans l’alphabet fantasque de l’eucalyptus
 
et de vrai
 
au nom du baobab et du palmier
 
de mon cœur
Sénégal et de mon cœur d’îles
 
je saluai avec pureté l’eucalyptus
 
du fin fond scrupuleux de mon cœur végétal
 
et il y eut
 
les hommes
 
c’étaient dieux chlamyde au vent
 
et bâton en avant
 
descendant d’un
Olympe de
Nil bleu
 
et les femmes étaient reines
 
reines d’ébène polie
 
prêtées par le miel de la nuit
 
et dévorées d’ivoire
 
Reine de
Saba
Reine de
Saba
 
qu’en dit l’oiseau
Simmorg-Anka ?
 
Ethiopie
 
belle comme ton écriture étrange
 
qui avance dans le mystère telle un arbre
 
d’épiphytes chargé
 
parmi l’ardoise du ciel
 
ni prince ni bouche du prince je me présente moi quinze dépouilles viriles trois éléphants DIX lions
 
Ce sont plus terribles que lions roux
 
du
Harrar vie
 
domptée angoisses et goules de nuit
 
rêves vingt cicatrices
 
et j’ai vu les trahisons obliques dans le brouillard
 
me charger en un troupeau de buffles
 
Ehô
Ethiopie-Mère ni prince ni bouche du prince blessure après balafre
 
mais cette folle face de noyé qui se raccroche à l’arche
 
Reine de
Saba
Reine de
Saba serai-je l’oiseau
Simmorg-Anka ?
 
et il y eut les rues les souks les mules les buveurs de tedj les mangeurs à'ingéra ceux d’Entoto ceux d’Abba
Dina
 
plus loin
 
à l’océane racine du poumon de mon cri
 
des îles s’effritant
 
rochers kystes bavants
 
saquant rivées au pieu
 
les îles qui à ma parole
 
mécroient
 
Reine du
Matin
Reine de
Saba
 
Où vit l’oiseau
Simmorg-Anka ?
 
Et je fus
Ethiopie ton pêle-mêle
 
tendre d’encens brûlé et de colère
 
A
Saint-Guiorguis
 
de grands spasmes bruns d’âpres baisers raclaient
 
les seuils obtus de
Dieu et ses ferrures de cuivre
 
A
Baata
Menelik sommeillait
 
à sa porte croisâmes noir et bleu
 
un
Galla mon destin masqué
 
farouche et doux comme sa sagaie
 
Reine du
Midi
Reine de
Saba
 
ci-gît l’oiseau
Simmorg-Anka
 
Or du
Kraal assiégé de sa gorge lointaine
Miriam
Makeba chanta au lion parcourue d’un sillage ondulant aux épaules un lac de maïs fauve flairé par acre vent
 
(Reine ô
Belkis
Makeda !) et subitement l’Afrique parla ce fut pour nous an neuf l’Afrique selon l’us
 
de chacun nous balaya le seuil d’une torche enflammée
 
reliant la nuit traquée
 
et toutes les nuits mutilées
 
de l’amère marée des nègres inconsolés
 
au plein ciel violet piqué de feux
 
Elle dit : « l’homme au fusil encore chaud est mort hier.
Hier le convoiteux sans frein piétineur piétinant saccageur saccageant hier est bien mort hier. »... l’Afrique parlait en une langue sacrée où le même mot
signifiait couteau des pluies sang de taureau nerf et tendon du dieu caché
 
lichen profond lâcher d’oiseaux

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