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Aimé Césaire

Le Coup de Couteau du Soleil dans le Dos des Villes Surprises

Et je vis un premier animal
 
il avait un corps de crocodile des pattes d’équidé une tête
 
de chien mais lorsque je regardai de plus près à la place
 
des bubons c’étaient des cicatrices laissées en des temps
 
différents par les orages sur un corps longtemps soumis à
 
d’obscures épreuves
 
sa tête je l’ai dit était des chiens pelés que l’on voit rôder
 
autour des volcans dans les villes que les hommes n’ont
 
pas osé rebâtir et que hantent éternellement les âmes des
 
trépassés
 
et je vis un second animal
 
il était couché sous un bois de dragonnier des deux côtés
 
de son museau de chevrotain comme des moustaches se
 
détachaient deux rostres enflammés aux pulpes
 
Je vis un troisième animal qui était un ver de terre mais
 
un vouloir étrange animait la bête d’une longue étroitesse
 
et il s’étirait sur le sol perdant et repoussant sans cesse
 
des anneaux qu’on ne lui aurait jamais cru la force de
 
porter et qui se poussaient entre eux la vie très vite
 
comme un mot de passe très obscène
 
Alors ma parole se déploya dans une clairière de paupières sommaires, velours sur lequel les étoiles les plus filantes allaitent leurs ânesses
 
le bariolage sauta livré par les veines d’une géante nocturne
 
ô la maison bâtie sur roc la femme glaçon du lit la catastrophe perdue comme une aiguille dans une botte de foin une pluie d’onyx tomba et de sceaux brisés sur un monticule
dont aucun prêtre d’aucune religion n’a jamais cité le nom et dont l’effet ne peut se comparer qu’aux coups de fouet d’une étoile sur la croupe d’une planète sur la gauche
délaissant les étoiles disposer le vever de leurs nombres les nuages ancrer dans nulle mer leurs récifs le cœur noir blotti dans le cœur de l’orage nous fondîmes
sur demain avec dans nos poches le coup de couteau très violent du soleil dans le dos des villes surprises

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