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Aimé Césaire

Dit D’errance

~ Extraits ~
 
Tout ce qui jamais fut déchiré en moi s’est déchiré tout ce qui jamais fut mutilé en moi s’est mutilé
 
au milieu de l’assiette de son souffle dénudé le fruit coupé de la lune toujours en allée vers le contour à inventer de l’autre moitié
 
Et pourtant que te reste-t-il du temps ancien
 
à peine peut-être certain sens
 
dans la pluie de la nuit de chauvir ou trembler
 
et quand d’aucuns chantent
Noël revenu
 
de songer aux astres
 
égarés
 
voici le jour le plus court de l’année
 
ordre assigné tout est du tout déchu
 
les paroles les visages les songes
 
l’air lui-même s’est envenimé
 
quand une main vers moi s’avance
 
j’en ramène à peine l’idée
 
j’ai bien en tête la saison si lacrimeuse
 
le jour avait un goût d’enfance
 
de chose profonde de muqueuse
 
vers le soleil mal tourné
 
fer contre fer une gare vide
 
où pour prendre rien
 
s’enrouait à vide à toujours geindre le même bras
 
Ciel éclaté courbe écorchée de dos
 
d’esclaves fustigés peine trésorière
 
des alizés grimoire fermé mots oubliés
 
j’interroge mon passé muet
 
Ile de sang de sargasses
 
île morsure de rémora
 
île arrière-rire des cétacés
 
île fin mot de bulle montée
 
île grand cœur déversé
 
haute la plus lointaine la mieux cachée
 
ivre lasse pêcheuse exténuée
 
ivre belle main oiselée
 
île maljointe île disjointe
 
toute île appelle
 
toute île est veuve
 
Bénin
Bénin ô pierre d’aigris
 
Ifé qui fut
Ouphas
 
une embouchure de
Zambèze
 
vers une
Ophir sans
Albuquerque
 
tendrons-nous toujours les bras ?
 
jadis ô déchiré
Elle pièce par morceau rassembla son dépecé et les quatorze morceaux
 
s’assirent triomphants dans les rayons du soir.
 
J’ai inventé un culte secret
 
mon soleil est celui que toujours on attend
 
le plus beau des soleils est le soleil nocturne
 
Corps féminin île retournée
 
corps féminin bien nolisé
 
corps féminin écume-né
 
corps féminin île retrouvée
 
et qui jamais assez ne s’emporte
 
qu’au ciel il n’emporte
 
ô nuit renonculée
 
un secret de polypier
 
corps féminin marche de palmier
 
par le soleil d’un nid coiffé
 
où le phénix meurt et renaît
 
nous sommes âmes de bon parage
 
corps nocturnes vifs de lignage
 
arbres fidèles vin jaillissant
 
moi sibylle flébilant.
 
Eaux figées de mes enfances
 
où les avirons à peine s’enfoncèrent
 
millions d’oiseaux de mes enfances où fut jamais l’île parfumée de grands soleils illuminée la saison l’aire tant délicieuse l’année pavée de pierres
précieuses ?
Aux crises des zones écartelé en plein cri mélange ténébreux j’ai vu un oiseau mâle sombrer la pierre dans son front s’est fichée je regarde le plus bas de
l’année
 
Corps souillé d’ordure savamment mué espace vent de foi mentie espace faux orgueil planétaire lent rustique prince diamantaire serais-je jouet de nigromance ?
Or mieux qu’Antilia ni que
Brazil pierre milliaire dans la distance épée d’une flamme qui me bourrelle j’abats les arbres du
Paradis
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