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Aimé Césaire

A la Nuit

C’est sans doute cette femme dont l’astrologue et la géomancie m’avaient révélé la date et le lieu d’apparition et dont j’aurai mal tenu compte
 
et qui fait contre-jour de la voix des mares mal prises aux nasses des scirpes
 
contre-jour des hauts fourneaux du suicide contre-jour des bernicles qui accrochent aux roches un gros bouquet de jonquilles pour dire que le printemps est là
 
quand le vent a mis une pelure de papier sur un vieux peigne quand le vent le plus vieux des nègres vieux souffle dedans une musique
 
où les jambes des jolies fables sortent d’une bruyère faite de la laine aimable de loups écumeurs d’une litanie de chiens
 
ou bien sacrée mer d’Iroise debout et qui attend de moi
 
une parole qui signifie pas de crainte et qui assurément ne
 
viendra pas
 
c’est la
Grâce ou la
Disgrâce
 
c’est le petit trot du cœur dans la maladie horlogère dite
 
de
Basedow
 
c’est la
Grâce c’est la
Disgrâce
 
la
Disgrâce ou la
Hargne
 
la
Hargne aux dents de sourd qui dispose son filet de
 
dents ébréchées semblables à un sous-bois au tournant
 
du mystère des oreillettes
 
la
Hargne qui martèle ses mots et rafle toutes les mises
 
la
Hargne faite à l’image de
Dieu qui crée à petits coups
 
de couteau qui mijotent dans l’instruction d’une gaine
 
prise dans la gayac de la rouille
 
où pas plus
 
que
 
tu ne lèves ton visage
 
le petit filet de sang de première
 
communion que je ne répands pas
 
pas plus
 
que ne se lève mon visage de pétrole à cacher ses liaisons
 
les plus innocentes
 
pas plus que l’on n’en peut attendre de la rancune de nos
 
visages mal fermés et d’où coule plus sûr le site
 
que le sourire où nous mêlons de veine et d’artère nos
 
deux sangs à la parole inégale
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