Victor Hugo

Nox (I)

                             I.
 
C’est la date choisie au fond de la pensée,
Prince ! il faut en finir,– cette nuit est glacée,
Viens, lève-toi ! flairant dans l’ombre les escrocs,
Le dogue Liberté gronde et montre ses crocs ;
Quoique mis par Carlier à la chaîne, il aboie.
N`attends pas plus longtemps ! c’est l’heure de la proie.
Vois, décembre épaissit son brouillard le plus noir ;
Comme un baron voleur qui sort de son manoir,
Surprends, brusque assaillant, I’ennemi que tu cernes.
Debout ! les régiments sont là dans les casernes,
Sac au dos, abrutis de vin et de fureur,
N’attendant qu’un bandit pour faire un empereur.
Mets ta main sur ta lampe et viens d’un pas oblique ;
Prends ton couteau, l’instant est bon : la République,
Confiante, et sans voir tes yeux sombres briller,
Dort, avec ton serment, prince, pour oreiller.
 
Cavaliers, fantassins, sortez ! dehors les hordes !
Sus aux représentants ! soldats, liez de cordes
Vos généraux jetés dans la cage aux forçats !
Poussez, la crosse aux reins, l’Assemblée à Mazas !
Chassez la Haute cour à coups de plat de sabre !
Changez-vous, preux de France, en brigands de Calabre !
Vous, bourgeois, regardez, vil troupeau, vil limon,
Comme un glaive rougi qu’agite un noir démon,
Le coup d’Etat qui sort flamboyant de la forge !
Les tribuns pour le droit luttent : qu’on les égorge !
Routiers, condottieri, vendus. prostitués,
Frappez ! tuez Baudin ! tuez Dussoubs ! tuez !
Que fait hors des maisons ce peuple ? Qu’il s’en aille !
Soldats, mitraillez-moi toute cette canaille !
Feu ! feu ! tu voteras ensuite, ô peuple roi !
Sabrez le droit, sabrez l’honneur, sabrez la loi !
Que sur les boulevards le sang coule en rivières !
Du vin plein les bidons ! des morts plein les civières !
Qui veut de l’eau-de-vie ? En ce temps pluvieux
Il faut boire. Soldats, fusillez-moi ce vieux !
Tuez-moi cet enfant ! Qu’est-ce que cette femme ?
C’est la mère ? tuez. Que tout ce peuple infâme
Tremble, et que les pavés rougissent ses talons !
Ce Paris odieux bouge et résiste. Allons !
Qu’il sente le mépris, sombre et plein de vengeance,
Que nous, la force, avons pour lui, l’intelligence !
L’étranger respecta Paris : soyons nouveaux !
Traînons-le dans la boue aux crins de nos chevaux !
Qu’il meure ! qu’on le broie et l’écrase et l’efface !
Noirs canons, crachez-lui vos boulets à la face !
 
                                     Du 16 au 22 novembre 1852, à Jersey

Les châtiments (1853)

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