Victor Hugo

Le poète au calife

Ô sultan Noureddin, calife aimé de Dieu !
Tu gouvernes, seigneur, l’empire du milieu,
           De la mer rouge au fleuve jaune.
Les rois des nations, vers ta face tournés,
Pavent, silencieux, de leurs fronts prosternés
           Le chemin qui mène à ton trône.
 
Ton sérail est très grand, tes jardins sont très beaux.
Tes femmes ont des yeux vifs comme des flambeaux,
           Qui pour toi seul percent leurs voiles.
Lorsque, astre impérial, aux peuples pleins d’effroi
Tu luis, tes trois cents fils brillent autour de toi
           Comme ton cortège d’étoiles
 
Ton front porte une aigrette et ceint le turban vert.
Tu peux voir folâtrer dans leur bain, entr’ouvert
           Sous la fenêtre où tu te penches,
Les femmes de Madras plus douces qu’un parfum,
Et les filles d’Alep qui sur leur beau sein brun
           Ont des colliers de perles blanches.
 
Ton sabre large et nu semble en ta main grandir.
           Toujours dans la bataille on le voit resplendir,
Sans trouver turban qui le rompe,
Au point où la mêlée a de plus noirs détours,
Où les grands éléphants, entre-choquant leurs tours,
           Prennent des chevaux dans leur trompe.
 
Une fée est cachée en tout ce que tu vois.
Quand tu parles, calife, on dirait que ta voix
           Descend d’un autre monde au nôtre ;
Dieu lui-même t’admire, et de félicités
Emplit la coupe d’or que tes jours enchantés,
           Joyeux, se passent l’un à l’autre.
 
Mais souvent dans ton cœur, radieux Noureddin,
Une triste pensée apparaît, et soudain
           Glace ta grandeur taciturne ;
Telle en plein jour parfois, sous un soleil de feu,
La lune, astre des morts, blanche au fond d’un ciel bleu,
           Montre à demi son front nocturne.
 
Le 14 octobre 1828.

Les orientales (1829)

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